Première partie
-I- INTRODUCTION SOUS FORME DE PANORAMA « MÉDIÉ »
La collection Le Choc des idées se fonde sur l’échange de deux spécialistes « antagonistes » d’un domaine du savoir, lequel fait l’objet d’une médiation. La médiatrice est ici Julie Denouël (maître de conférence en science du langage à l’institut des technosciences Paul Valéry, Montpellier 3, et laboratoire Praxiling du CNRS)
Se détacher de l’antagonisme
Les réseaux sociaux sont en fait des « réseaux sociaux numériques » (RSN) développant des échanges interpersonnels sans intermédiaires, propices à une « société plus démocratique et égalitaire ». Ils s’opposent à d’autres réseaux visant à « détruire le lien social » dans une « société de surveillance généralisée ». Il y a donc les bons réseaux et les mauvais. Comment faire la part des choses ? Il faut rester à distance des approches antagonistes, prendre appui sur les recherches en sciences humaines et sociales, questionner « ce phénomène technique et social ».
Brève histoire des réseaux sociaux, pas toujours numériques
L’expression « réseaux sociaux », aujourd’hui, les suppose « numériques ». Le terme « réseau » croise le motif de la structure, l’entrelacement, la circulation, la cohésion et la connaissance. L’expression naît en 1954, dans une étude ethnographique visant à analyser « l’organisation des relations sociales dans une petite ville norvégienne ». L’objet d’étude évoque des relations en face à face ou à distance par des « moyens de communication » en observant les régularités qui décriraient leur formation, transformations et « effets sur les comportements ».
Il est difficile en revanche de dater exactement l’apparition de l’expression réseaux sociaux purement numériques, même si on peut repérer les « outils » qui y donnent lieu : les années 1990 avec l’apparition de l’Internet grand public. Un réseau « Sixdegrees » est lancé en 1997, il permettait de se créer un « profil », de se constituer une liste d’ « amis » et de naviguer de profil en profil. En 2000 apparaissent de grands RSN : AsianAvenue, BlackPlanet ou MiGente (U.S.A), CyWorld (Corée), LunaStorm (Suède). 2001 des réseaux professionnels dont Linkedln. Au début des années 2000, en France, on note Copainsdavant (rassembler des « anciens »), Meetic (rencontres) Peuplade (relations de voisins) et Viadeo (professionnel).
Mais les grands réseaux sont d’initiatives américaines. Par exemple MySpace pour partager des contenus musicaux, Flickr, pour partager des photos, Youtube et Dailymotion pour partager des vidéos. Twitter apparaît en 2006 avec les SMS suivis-suiveurs. En 2004, on note un petit Facebook pour étudiants d’Harvard qui devient un mastodonte (900 millions d’utilisateurs en 2012). Les nombre des internautes galope avec ces réseaux : 2,7 milliards d’internautes dans le monde en 2012. En 2011, en France, 22 millions de personnes ont déclaré user des réseaux sociaux.
Configuration des sites
C’est la diffusion du « web 2.0 » (c’est-à-dire interactif) qui massifie les chiffres. Les réseaux sont sociaux en cela qu’ils se fondent sur la participation, la production, l’échange entre pairs.
Les RSN font partie d’une catégorie plus vaste, les « médias sociaux ». A la différence des médias de masse traditionnels (télé, radio, presse) les médias sociaux regroupent sites et services construits autour de la participation et d’une mobilisation des internautes. On a affaire à un principe UGC (user-generated content) : les contenus visibles ne sont pas produits par les propriétaires mais par les internautes eux-mêmes (RSN, mais aussi blogs, microblogging, wiki (sites collaboratifs), flux RSS (réception à la demande), flux de syndication (regroupement automatisé de données).
Dans les RSN, on repère les « plateformes relationnelles » (Facebook, Twitter, Linkedln) et les « plateformes d’autoproduction » (réservées au stockage), « au partage de contenus autoproduits ou remixés », comme MySpace, Youtube ou Dailymotion). La distinction tend à s’effacer. Participer à un RSN passe par une adhésion libre ou par une cooptation. Par ailleurs, l’intégration à un RSN participe à l’identification numérique de l’utilisateur : le profil (ou page personnelle), une liste d’amis (amis d’amis), un degré de « visibilité » qui dépend du « design de la plateforme » et de l’ « accessibilité du profil ».
Quelques problématiques
Les RSN suscitent des débats parfois houleux à propos de l’ « exposition de soi », de l’organisation matérielle des « relations interpersonnelles en ligne », le rôle des « dispositifs » dans le mode de production de l’information. L’exposition de soi est-elle un problème d’égo, d’ « égo 2 » ? Les usagers, en effet, prennent des risques avec leur identité, la « présentation de soi ». Les éléments d’identité peuvent être appelés « identitèmes », cellules de base de l’identité, des « coulisses » de l’identité. Au début du phénomène, les internautes posaient en ligne des identitèmes qui airaient dû être réservés « au seul cercle des personnes proches ». Y a-t-il une « exposition de soi », une exacerbation pathologique du Moi, conséquence d’une société narcissique de capitalisme avancé ou néolibéralisme ?
Peut-être, mais d’autres observateurs notent une recherche de l’autre : l’ altérité étant facteur de « désir de reliance sociale ». Cela contribuerait à un « mouvement expressiviste de l’Internet » débouchant sur la réalisation de contenus « originaux, personnels, subjectifs » en ligne. Construction de soi par des activités créatives et collaboratives en ligne. L’internaute se « dévoile » différemment sur Meetic (séduire), Facebook (expression estudiantine), MySpace (univers des goûts et de leur partage), Second Life (création imaginaire d’avatars). Il existerait des stratégies d’ajustement réflexif de la distance à soi » : « se cacher se voir » / « se montrer caché » / « tout montrer, tout voir » / « se voir caché »… Le premier stade, prudent, est de faire connaître ses goûts (chansons, films, liens vers des sites d’actualité) orientés vers Autrui, lequel va réagir, évaluer en retour (y compris avec dépréciation). L’expression de soi est alors relationnelle, « extime » (S. Tisseron). L’extimité comporte un processus par lequel des « fragments » du soi intime sont proposés à l’autre, qui les valide. C’est se rencontrer soi-même au travers de l’autre. Pas de velléités narcissiques mais une simple « volonté de reconnaissance » : exposition, pour s’accomplir, de « singularités subjectives » dans de l’interaction intersubjective.
Sociabilité 2.0 ?
USA, 1990. Robert Putman constate le délitement de la vie « civique, associative et politique ». C’est un « effondrement » qui dégénère en individualisme, un déclin de la sociabilité. Selon Putman, les TIC poussent au repli sur soi. Mais des études de terrain (en France), dès le début des années 2000, montreraient que la fréquence des échanges de téléphonie mobile organisent des sociabilités « face à face ». Plus on se voit, plus on s’appelle pour partager pendant les absences de face à face. Consommer des « biens culturels » et communiquer seraient liés, recomposeraient une sociabilité. Les usages du web 2.0 restaurent la relation sociale. Les constitutions de répertoires de contacts créent des amis et « amis d’amis ». Liens entre profils donc, mais profil qui se donne à voir en sollicitant un autre profil, ou qui se « cache ». Mais l’accession au stocks de données d’un profil est souvent réciproque.
« Digital youth project » est une étude américaine (sur 800 jeunes) qui a essayé de mettre en évidence les compétences et les logiques mobilisées par les échanges sur RSN. On a noté une structure complémentaire de « liens amicaux préétablis » et de fonctionnement par centres d’intérêt. L’axe des centres d’intérêt est plus créatif, plus « technophile ». Sous l’étiquette « amis » on a repéré du « capital relationnel diversifié », des « affinités électives ». Si l’internaute ne « connaît » pas ses amis pléthoriques, il y a néanmoins de fortes appétences culturelles, esthétiques entre eux. La base d’intérêt commun conduit aussi à des « collaborations inédites ». Les collaborations peuvent être distinguées en « coopérations fortes » (sur la base d’une « communauté préexistante de valeurs et d’intentions » au détriment de « collaborations faibles » (opportunistes, sans intentionnalité collective).
Information 2.0 ?
La transformation des processus identitaires et relationnels soutiennent une transformation du système de production d’informations : abaissement des coûts et de production et de diffusion. Les RSN auraient mobilisé et se seraient emparés des outils de communication pour s’assurer une autonomie et une visibilité. Les acteurs de la « société civile » ont des desseins de mobilisation informationnelles, de type social, progressiste, orienté vers la critique des médias. Ils peuvent mettre en œuvre des « dispositifs alternatifs de production d’information » (voir les « printemps arabes » qui ont assuré la diffusion de différents événements locaux à l’échelle mondiale). Les RSN deviennent des structures d’information et de communication qui construisent l’ « l’indignation et la convergence de sens », convergence au sens de consensus rationnel.
Mais d’autres chercheurs, observant les « printemps arabes » sont plus modérés sur le rôle des RSN : ce sont les conditions sociales, économiques, médiatiques et politiques qui auraient mis le feu aux poudres. Nous n’aurions pas assisté à des « révolutions 2.0 ». Les RSN seraient, dans ces pays, les outils de jeunesses urbaines, éduquées et aisées, le reste de la population n’étant pas touché par ces technologies. Toujours est-il que les RSN ne sont pas neutres, produisent des pratiques interactionnelles et relationnelles variées méritant une mise en perspective et des analyses.
- II – CONFRONTATION
RSN : ou le social au futur (d’Eric Delcroix, maître de conférence à l’université de Lille III, ayant « une importante activité de blogueur »)
Les alumni, oui, mais pas les RSN
Selon Eric Delcroix, rien de neuf : les réseaux existent depuis longtemps. Depuis des siècles, les hommes se rapprochent en groupes sociaux dans une variété de domaines : religieux, politique, étudiants. Il évoque les « Alumni » : annuaires de réseaux d’ex-anciens des grandes écoles. Ces étudiants créaient un « réseautage » informel fondé sur la solidarité entre anciens et nouveaux, sur des réunions, des fêtes. Ces réseaux s’établissent à travers le tissu des grandes entreprises, ils sont plus ou moins influents ou « occultes ». Les détracteurs des RSN n’ont rien contre ces alumni. Sauf que ces derniers « réseautent » numériquement aussi… Oui, mais ces réseaux existaient avant l’Internet…
La pyramide de Maslow
Ce qu’on appelle la pyramide de Maslow sert par exemple à décrire la structure d’un réseau d’alumni, la base étant constituée d’éléments peu sûrs, les étages menant à des données de partage et de collaboration très « sécurisés ».
Par exemple :
Pointe : Réalisation
Etage 4 : Editorialisation des UGC (user-generated content) , travail interconnecté, modification du contenu
Etage 3 : Produits tactiles, Contenu en mobilité, web des early adopters
Etage 2 : Réseaux physiques, rencontres par affinités segmentées, géolocalisation
Etage 1 : Réalité augmentée, Sécurité du ciblage marketting, information vérifiée
Base : Réseaux sociaux, l’Internet de contenu, l’info en temps réel
(Pyramide de Maslow, 3.0 version, 2010)
Selon cette théorie, le réseautage vise la recherche de soi, de l’accomplissement de ses besoins (réalisation de soi). Les réseaux sociaux tels qu’ils se pratiquent actuellement sont pris en compte, ce qui n’était pas le cas des pyramides précédentes. Facebook, par exemple, relève de la base, d’un « besoin primitif : la survie ! ».
L’auteur, ayant été journaliste, s’intéresse à l’évolution du métier. Ce qui caractérise un journaliste, c’est le carnet d’adresses. Le simple entrant dans une école de journalisme peut, grâce aux RSN, se constituer un carnet bien pourvu.
Fin des anciens cercles de connaissance
Pour ce qui est de l’évolution des RSN, nous ne voyons qu’un iceberg légèrement émergeant. Lorsque l’auteur était étudiant, il avait du mal à rencontrer des « spécialistes » de différents domaines. Aujourd’hui, il ne compte plus les demandes d’interview envoyées via le web pour des mémoires. Sa fille âgée de 13 ans, pour un devoir d’histoire de l’art, doit se documenter sur un peintre âgé de 80 ans, lequel possède un site personnel. Pas de sentiment de gêne : s’il a un site, elle peut le contacter et l’ajouter à son réseau.
L’auteur avoue n’avoir pas été toujours un inconditionnel des RSN. En 2005, il était déçu par le « social networking ». Avec une pyramide, plus on a de relations à la base, c’est-à-dire plus on a d’adresses, plus il est aisé d’accéder à des personnes intéressantes : les amis de mes amis sont aussi mes amis. C’est l’arrivée de Facebook qui lui a fait changé d’avis : communication avec ses connaissances, rencontre de nouvelles personnes, construction d’un solide réseau professionnel. L’on apprend beaucoup de choses de manière facile sur toute « personne qui met un commentaire en ligne », car l’on « source » l’information. L’auteur a travaillé avec ses étudiants à travers Facebook : toute la communication entre eux s’effectuait par ce réseau, sans qu’il en soit le demandeur. Il a également vu dans ce réseau une anticipation du « cloud computing ». Demain, les ordinateurs seront vides, à l’image des smartphones et des tablettes. Pas ou peu de disque dur encombré, pour un maximum de données et de travail sur elles.
Quand le diable Google devient le diable Facebook.
Qu’est-ce que le « ciblage comportemental » ? Est-ce dangereux ? Le ciblage comportemental est une acquisition de données sur les internautes, notamment leurs centres d’intérêt, pour optimiser un bombardement publicitaire. L’historique de la navigation permet de profiler l’internaute, parfois jusqu’à une géolocalisation. C’est en fait le même principe que les ventes par correspondance qui offrent des questionnaire pour une « gestion de relation client », questions que les acheteurs de produits sur catalogues remplissaient naïvement. Le ciblage est donc ce qui permet le bon message à la bonne personne.
Le danger souvent mis en avant est le « non respect des données personnelles ». Mais l’internaute n’est pas obligé de fournir des données personnelles complètes. Il ne faut pas être « transparent » au sens propre, c’est-à-dire tout dévoiler, sur Internet en général, comme dans les RSN. C’est un problème d’éducation. L’Éducation nationale et les parents doivent jouer leur rôle, évoquer le code de la route puisqu’il y a des « autoroutes de l’information ». Les traces de la navigation que sont les cookies ne sont effacées que par 15% des internautes sur une période de 28 jours.
Dans les années 2000, on disait que Google était le diable. Même dans l’enseignement, on conseillait d’utiliser d’autres moteurs (Mountain View). Aujourd’hui : « qui n’a pas utilisé au moins l’un des outils de Google depuis une semaine ? » Le ciblage comportemental de Google est pourtant connu.
Du contexte à l’usage
Le premier courrier électronique est envoyé en 1971, et il faut attendre 1994 pour qu’apparaisse la première forme de réseau social internet. De la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, Compuserve dominait le marché des fournisseurs de services en ligne avec email, messagerie électronique, forums modérés, relié à l’identification des utilisateurs et en milieu fermé. C’est Arpanet qui est devenu Internet. Très tôt, dès l’arrivée d’Internet, l’internaute produit des contenus qu’il cherche à faire découvrir à d’autres. C’était le but premier : diffuser de l’information. Aujourd’hui, on est en permanence connecté : ordinateurs, tablettes, smartphones. Le Web 2.0 est là. Mais comment le définir ? L’auteur estime que cela n’est pas possible, ou que les définitions sont incalculables. Chacun possèderait sa définition. Mais ce qui en fait l’essence est : 1) la publication collaborative, 2) les usages « communautaires » et la notion de communauté dans un sens non sectaire ou idéologique 3) le partage des contenus, 4) la personnalisation des services qui se retrouve dans les RSN. Les trois verbes à retenir seraient : partager ; collaborer ; interagir.
Au début des années 2000, reproche était fait à l’html de son manque d’interactivité. L’arrivée du web 2.0 change la donne, avec l’émergence des blogs qui permettent le dialogue, courtois, s’entend. Il est possible de « réagir » au contenu des uns et des autres et de débattre. La machine s’humanise.
L’éclosion du web 2.0 apporte des modifications dans les « strates de la représentativité et dans le comportement » des usagers. Des pairs se trouvent, alors qu’ils étaient condamnés à des univers fermés (famille, amis proches, relations professionnelles, associatives etc.) Jaillissement de textes, d’images, de sons en autant de points de vue : « nous n’étions plus les seuls à penser d’une certaine manière, à aimer telle ou telle chose ». On trouve ses pairs, sans condition de distance, de temps. La protection de l’ écran permet d’introduire et de garder dans les échanges une « égalité de rang social », la hiérarchisation de la société disparaît au profit de la compétence. Les pro-am (professionnels amateurs) donnent leur avis et nous sommes en contact avec eux pour le solliciter.
Des transformations dans la consommation : les « P », les « i »
L’acte d’achat a été modifié par nos pairs numériques. Avant ? On avait 4 phases dans l’achat : attention, intérêt, désir, et achat. Maintenant ? Une phase d’évaluation précède le désir, on compare les prix. Les « 4 P » (prix, produit, place, promotion) sont aussi modifiés. Place au 4 P du blog : passion, purposeful (buts visés), present (présentement), positional (prenez position), au 5 P (avec people = communauté) ou les 7 P ( avec process et preuve). Tout cela serait déjà caduc au profit des « 7 i » : interconnexion, interface, interactivité, implication, information, individualité, intégrité.
Mais de quels réseaux parle-t-on ?
Des blogs, des sites de réseautage, des wiki, des microblogging : autant de réseautages destinés à mettre les gens en relation et appelés « médias sociaux ». Les réseaux sociaux sont catégorisables : 1/ les réseaux ouverts 2/ les réseaux sur invitation (invitation par l’un des membres) 3/ les services en ligne de réseaux professionnels.
Pascal Faucompré classifie autrement : 1/ networking (échanges entre professionnels) 2/ bloglikes (« refuge d’ados en mal de reconnaissance ») 3/ les réseaux spécialisés (thématiques) 4/ les microblogging ( chat public « narcissique » : montrer tout ce qu’on fait en temps réel) 5/ les fourre-tout (se servant du collaboratif ou du participatif pour alimenter leur service 6/ les open-source ou plateformes ( pour créer son propre réseau social).
Ces listes peuvent s’allonger et être notionnellement dépassées très vite. Peut-être serait-il plus judicieux d’user d’un raisonnement binaire : privé / professionnel ; gratuit / payant ; privatif / public etc.
Networking – personal branding
Les réseaux sociaux qui nous lient à des pairs semblent fonctionner de la même manière. On crée son profil (infos personnelles, photo, centres d’intérêt), et on invite des amis. Avant tout, ces réseaux sont fait d’humains, d’où des relations complexes. En sus du fait que les relations virtuelles se libèrent des contraintes et obligations de la vie quotidienne. On recherche ce que l’on ne trouve pas dans sa vie, un « lien social différent », au début. Tarte à la crème. Mais les chercheurs estiment qu’il s’agit d’un lien social « normal ». Le lien est simplement facilité. Dans la « réalité » du réseau, on retrouve d’anciennes connaissances, ce qui est plus vrai chez les « jeunes adultes ». On prend contact avec une personne que l’on cherche à joindre. On met en avant sa « réputation virtuelle », donc on fait attention et on « participe » avec responsabilité. Chez les pré-ados et ados, il s’agit pour eux d’une continuité de la cour de récréation. Ce qui se dit tout bas, à la récré et qui peut déranger les adultes, est porté sur la place publique. Facebook n’apporterait pas plus de « violence » qu’auparavant ou dans la « vraie » vie. Ce qui était « prononcé en petit comité » est « à la vue de tous » et peut se trouver « relayé facilement et indéfiniment » :on est face à un « problème de l’éducation aux réseaux sociaux », à « intégr(er) aux enseignements » et l’on devrait « passer du répressif à l’éducatif ».
Dans les réseaux sociaux, l’« influenceur » est celui qui compte le plus d’amis et l’on se doit d’en faire partie pour ne pas rester sur la touche. Améliorateur d’égo(s), de l’influenceur et de l’influencé (ou suivi et suiveur).
Du lien social
Il arrive que des voisins de palier fassent connaissance par les réseaux. C’est simplement la manière d’ « être avec » qui change. C’est la définition de « réseau social » par Esther Dyson qui semble adéquate : « Les services de social networking fournissent des outils qui facilitent le processus de mise en relation et supportent la prise de contact […] ». Les réseaux sont générateurs de liens sociaux. Est-ce un modèle de société ? Non, selon Eric Delcroix. Ils se situent au même niveau que les médias produisant de la communication mais aussi « manipulation, propagande, publicité ». Cependant ils rapprochent les générations d’une même famille (petits-enfants et grands-parents du fait d’une mutation géographique des parents, des parents et des enfants du fait de « familles recomposées »). A l’époque de la télé, on prédisait la solitude du téléspectateur, la perte de la relation humaine…
Mélanger les genres
Dans la « vraie vie », les sphères se croisent (personnelles, familiales, professionnelles, institutionnelles) et se complètent pour créer une identité. Les contradicteurs reprochaient aux RSN de ne pas faire la différence entre les amis fiables et les amis éloignés. Mais un paramétrage permet de le faire maintenant. Eric Delcroix estime que c’est une socialité du même type qu’à la machine à café, dans les entreprises ou l’administration. On dose la profondeur et l’intimité des échanges en fonction des affinités avec tel ou telle. Toujours selon lui, c’est ce qui rend les réseaux privatifs en entreprise ou les ENT dans l’Éducation nationale pas potentiellement conviviaux, car sans dosage d’intimité, par leur clôture. On ne peut pas trouver de réponse à ses questions uniquement auprès d’ « amis d’étude », collègues qui échangent peu.
Le nombre de nos amis
En essayant de dénombrer ses « amis » dans les réseaux sociaux, le nombre de Dunbar (ou règle des 150) marque la limite de la capacité humaine à repérer, capter les faits émotionnels produits par lesdits amis. Alors un millier d’amis sur Facebook ou Twitter, qu’est-ce que ça donne ? : « J’ai rarement demandé à m’abonner ou à devenir ami avec quelqu’un […] C’est le public qui souhaite nous suivre et nous lui rendons la pareille ! » Histoire de courtoisie, de « netiquette ». La « popularité » se gère par groupes ou listes. Eric Delcroix évoque ses étudiants « suiveurs ». Pourquoi ne pas les compter dans sa liste, il suffit de ne pas être « le grand frère ou la grande sœur, le conseiller psychologique ou le censeur de ce qu’expriment les uns ou les autres. » Dans ce cas, les apports intellectuels des uns et des autres sont un enrichissement. Et pendant les cours ? Quand les calculettes auront disparu au profit des smartphones, les enseignants devront savoir gérer ce réseautage. Actuellement ce sont des pc qui sont prêtés aux élèves, aux étudiants, lors des cours, des ateliers, mais les smartphones seront des bien privés non bridables. Il faut alors envisager de « remplacer les murs des écoles par des fenêtres » (selon Mario Aselin).
Des « liens faibles » plutôt forts
En 1973, le sociologue Mark Granovetter distingue les liens forts (famille, amis proches, de « face à « face ») et les liens faibles, relations à un / des individus éloignés, amis d’ami. Connus de vue, de loin, par ouï dire. En fait, le lien faible, par affinité, va se renforcer : « ce lien constitue une base d’échange, de rencontre de communication forte et davantage disposée à l’interaction ou au lien social qu’un lien fort ». C’est une intensification de l’information. Un message peut atteindre un plus grand nombre de personnes, pour la recherche d’un emploi, pour accéder à des ressources sociales. Opportunités et intégration sociales. Le tout, psychologiquement, pour la stabilité d’un individu, est question d’équilibre entre les deux types de liens.
La réticence de l’âge
Plus une personne est âgée, moins elle va être ouverte à la nouveauté technologique (en général). Selon l’auteur, les plus de 40 ans ont en tête l’idée du Big Brother issu de 1984 et pensent que les réseaux sont des filets maillés destinés à les prendre ; que les États sauront tout sur tous. C’est méconnaître, estime-t-il, l’adaptabilité et la propension de liberté de l’humain. On ne met pas tout de soi en ligne, sauf pathologie, sauf contraint par un régime dictatorial. Les réseaux ne sont pas des nasses mais des lieux ouverts à l’enrichissement. La génération Y (la lettre « Y » figurant deux écouteurs liés à un appareil par un fil qui pend, entre autres essais de définition) est rendue plus ouverte par l’école :
Faisons une digression du côté de l’école […] lorsque vous étiez à l’école primaire, l’enseignant vous faisait-il travailler en groupe ? Vous faisait-il partager vos découvertes ? Vous faisait-il rendre des devoirs en commun ? Si votre réponse est négative, vous avez à coup sûr la cinquantaine.
Cela donne une idée de l’influence des médias d’information à l’école et à la formation au partage citoyen. Lors d’audit, certaines entreprises s’aperçoivent que chaque salarié a sa base de donnée, ne la partage pas et freine un développement des services. Les réseaux sociaux ne sont pas chronophages dès lors que l’individu maîtrise les nécessités de connexion ; ils ne tuent pas l’ « intimité » dès lors que l’usager est responsable et ne publie ni textes ni photos intimes. Le rôle de l’école dans l’apprentissage des réseaux sociaux est fondamental, tout comme l’est la formation continue de l’adulte dans l’entreprise.