Cet ouvrage, pour être court, n’en est pas moins un outil nécessaire aux enseignants de collèges et lycées, car il est un moyen de lire et de traiter l’image médiatique, puis d’en appliquer les principes. L’image est ici un véritable « objet d’étude », analysé, contextualisé, soumis à un questionnement sur sa fabrication, sa composition, sa commercialisation ou diffusion et enfin sa réception.
Le défi de la sémiologie de l’image au XXIe siècle est une requalification de l’image, le besoin de la repositionner, dans l’apprentissage par les jeunes, dans une perspective transdisciplinaire (par les EPI notamment) et de la mettre en perspective.
Les auteurs organisent leur travail en trois parties : 1/ l’histoire et les mutations de la photographie de presse 2/ les caractéristiques et les fonctions de la photographie de presse et du photojournalisme 3/ la méthodologie pour mettre en œuvre des activités pédagogiques dans les classes.
L’éducation aux photographies d’actualité permet de dédiaboliser l’image considérée comme secondaire par rapport à l’écrit journalistique. Il s’agit d’un couple très étroit qui réverbère le sens de chacun et l’enrichit en miroir, non déformant, au contraire.
La photographie de presse, une histoire
Des « évolutions techniques lentes mais décisives » marquent la photographie de presse. Amélioration des prises de vue, simplification du matériel, performances des « chambres, pellicules, reproduction sur le papier ». Ce qui importe, c’est que la photographie « garde la mémoire des événements importants ».
On peut noter deux bouleversements : la reproduction des clichés, sous la forme de la recherche d’un « procédé de division de l’image en points minuscules pour faciliter son impression avec des trames en tissu », ce qui est l’invention de la « trame quadrillée » (Frederick Ives, 1893), ensuite industrialisée par Max Lévy.
En 1897, nouvelle avancée, c’est Le New York Tribune qui passe au « procédé de photogravure par trame sur […] rotatives ». De plus, c’est au plan du « support sensible » que les choses sont modifiées : on passe au gélatono-bromure d’argent (1871), aux « plaques sèches » après être resté longtemps au « collodion ». La plaque de verre est devenue « un celluloïd en feuilles minces, souples, légères » et cela a entraîné la réduction de la taille des appareils photos : première boite Kodak (1888), le « Vest-pocket » toujours de Kodak. 1900 : « la vitesse d’obturation atteint le 250e de seconde » et donc « la notion d’instantané s’impose ».
Reportage et actualité
Deux grands types de clichés se distinguent, encore aujourd’hui : la photographie magazine (exploration approfondie d’un thème par un photoreporter qui prend le temps) et la photo d’actualité, réduite à un seul cliché pour un article.
L’âge d’or de la photo de presse se situe après le premier conflit mondial, car les quotidiens américains puis européens lui font une place grandissante. 1928 en France : Vu, Match, 1938. Aux USA, Life (1936), Look (1937). Le premier à se revendiquer photojournaliste est le journaliste allemand Érich Salomon. Apparaît le mythique Leica. Robert Capa, Henri Cartier-Bresson et David Seymour « couvrent la guerre d’Espagne et créent, en 1947, l’agence Magnum », une « coopérative ». Naissent ensuite les agences françaises : Gamma (1968), Sipa (1969), Sygma (1973).
Et le Leica de se faire détrôner par « les nouveaux appareils Nikon et Canon », japonais.
Mais les magazines s’essoufflent : Life qui a compté « plus de huit millions de lecteurs » finit par disparaître en 1972. D’autres « prennent le relais » : Stern, Bunte, Géo en Allemagne, Le Figaro magazine, VSD en France. Les Time et Newsweek prêts à s’entretuer génèrent une forte demande de clichés et forcément un affadissement de la créativité au profit de l’utile voire du nécessaire.
La crise…
En 1987 l’Agence France-Presse et Reuters « se lancent dans la photographie internationale pour concurrencer Associated Press ». Lesdites agences jouent de l’innovation : les belinographes sont remplacés par « des scanners portables qui analysent la photographie et la transforment en fichier numérique ». Mais malgré l’avancée technique, la qualité de l’image voire son esthétisme, la concurrence de la télévision est rude.
Les magazines réduisent la voilure et sont submergés de propositions qu’ils ne peuvent satisfaire, les « agences magazine » ferment. De plus, économiquement, des « groupes financiers achètent ces agences et prennent le contrôle d’importants fonds d’archives ».
La photo devient une pure marchandise. Le numérique bouleverse le métier, les photoreporters diffusent leur production sur le Net, et certains clichés sont achetés par la presse quelques euros. Ces photos « circulent par le biais des réseaux sociaux(Facebook, Twitter) posent des problèmes de source mais aussi de surabondance et de tri. »
Les agences, habituées aux photoreporters, dignes de ce nom, sont les seules capables de se prononcer sur la qualité, la fiabilité, le recoupement de sources, et de déontologie.
Photo/journalisme ?
Les photojournalistes se revendiquent comme des journalistes, à part entière, capables de produire des images de qualité avec leurs textes. Ce sont « des rédacteurs qui produisent de l’information : photographies légendées, reportages avec des textes et d’images, portraits, photographies, documentaires ». Peu ont la chance d’être salariés, les autres sont en free-lance. Les salariés ont droit à la carte de presse.
Les autres, fragilisés, « revendiquent une […] liberté de pensée et d’expression » contre le formatage et ses modes. Certains optent pour « le reportage ou le documentaire, assumant un point de vue singulier ». Ils peuvent choisir entre trois directions : l’événementiel ou l’actualité, le documentaire visant à « commenter, instruire l’information », et enfin le discours anthropologique.
Procès en objectivité
L’ « impact de la photographie d’information » a longtemps été « limité » par des « problèmes techniques ». Aux USA, « lors de la guerre de Sécession […] les cadavres étaient déjà souvent mis en scène pour être photographiés ». Il y avait « un écart par rapport à l’événement relaté ».
La longueur du procédé argentique a également ralenti la réactivité des photoreporters par rapport au numérique. L’usage des « planches contact » permettait de choisir entre plusieurs photos tandis qu’aujourd’hui, l’écart temporel est « considéré comme préjudiciable » à la restitution, la « vitesse de communication » passe pour une garantie de qualité ou de véridicité par rapport au sujet photographié. La vitesse « prend le pas sur la qualité du regard et sur le recul réflexif attendus d’un professionnel ».
La concurrence, la « concentration des groupes de presse », la « chute des ressources publicitaires » amènent à la vitesse et à la baisse de coût. Les photoreporters partaient « sur commande », les frais du voyage pris par le commanditaire.
Maintenant les photographes doivent « assumer seuls l’investissement financier d’un reportage, sans garantie de trouver un éditeur pour le publier ». S’ajoutent à ce problème l’érosion des lectorats et l’injonction grandissante du « people », des hommes et femmes politiques par exemple, et pas seulement de vedettes du show-biz.
Chats sauvages et « embarqués »…
Les conditions de travail « se sont dégradées tant au plan professionnel qu’humain ». Les photoreporters ne peuvent plus être des « chats sauvages », des hommes libres d’aller photographier où bon leur semble. Ils sont « encadrés » pour leur « sécurité ». Dans les « zones de conflit », la sécurité des journalistes les « rend dépendants des autorités militaires et de leur service de communication ».
Ce sont des « embarqués » : ils sont véhiculés par les autorités en des endroits photographiables. Les photos de la guerre de Corée (1950), du Vietnam (1960) paraissent plus libres que celles des conflits récents (Afghanistan, Irak) quand les photographes sont « baladés » par les militaires ou les services de communication des armées. Quand ce n’est pas le cas, les photographes sont « des cibles privilégiées pour des snipers […] qui n’hésitent pas à les éliminer ». Le business, dans certains cas est de les « enlever, séquestrer ».
Peopolisation et « corporate »
Le contrôle reste de mise lors de la « couverture des faits divers et les reportages sociétaux ». De même, « les institutions – justice, police, médecine, école – les entreprises et les responsables politiques sont passés maîtres dans l’art de gérer leur image ». Les communicants sont là. La vie des gens célèbres faisait l’objet d’un traitement par des magazines people (Gala, Closer…) mais le personnel politique n’hésite pas à faire la Une, les auteurs évoquent Ségolène Royal et son dernier enfant, en 1992 dans Paris Match et bien d’autres depuis.
La peopolisation du politique mais également d’autres secteurs de la société (art, recherche scientifique) enferme les photographes « dans le genre dominant du portrait ». Cette information des vedettes est « porteuse de valeurs consuméristes » et de « compétition », dans l’air du temps désormais. Exhibitionnisme, voyeurisme déportent la photo d’information vers l’ « entertainment ».
Egalement, à noter, le « corporate » l’information photographique réservée à l’entreprise, des géants économiques formant un monde à eux-seuls et qui possèdent leur information.
Amateurs, professionnels
L’ « accès et la facilité d’utilisation des technologies photographiques » fait que monsieur Tout-le-monde peut prendre des clichés d’excellente qualité. Des citoyens lambda qui se trouvent à proximité d’un événement grave prennent des clichés et les vendent aux médias, au détriment de quoi ? : « […] d’une information construite sur la réflexion et la compréhension professionnelles des événements ». Et les médias ont l’air de croire que ces clichés sont plus vrais parce que venant d’anonymes. L’anonymat gage de véridicité et d’objectivité. Ces photos-là, pour la presse, ne valent pas cher, et ont « un impact plus assuré » Du vrai, par les vraies gens. Captation du lectorat escomptée.
Production, diffusion, réception
Afin de « prendre la mesure [du] flux d’images » (cliches d’anonymes, surabondance de clichés professionnels mais bradés sur Internet) il faut s’intéresser « aux circuits et au marché ».
La photo de commande
Les magazines (L’Express, Le Nouvel observateur ou Obs, Géo) engagent un photographe « sous contrat » pour des photos ciblées et définies. Elles sont « facturées à l’agence », « incluent les droits de reproduction » (Une, « dos de kiosques », photo interne de plus ou moins grand format), suivant l’ « accessibilité ». Cela se négocie.
Sujet proposé par le photographe
Les photographes proposent des thèmes avec synopsis de reportage, qui s’ils sont acceptés font l’objet d’une avance, couvrant les frais de voyages. De retour, le photographe « a rarement la possibilité de ‘contrôler’ le texte et les légendes ». Les rédacteurs en chef, les secrétaires de rédaction « lissent » les contenus en fonction de la ligne éditoriale.
Archives
Les agences, plus rarement les organes de presse, ont leurs archives images, souvent numérisées, véritable réservoirs. Les photographes les plus cotés se créent des archives personnelles qui permettent d’ « obtenir des revenus plus réguliers ». Mais une fois que c’est publié, il y a peu de chance de voir ses photos republiées ou alors pas dans la presse.
Les collectifs, les agences
Les grandes agencent se construisent des « réseaux planétaires » avec des « moyens de transmission de pointe » L’AFP, Reuters, Associated Press « développent avec les photographes une relation d’employeurs à salariés ». L’AFP, avec ses cinq cents journalistes dans le monde, reçoit « 2000 à 3000 photos par jour ». Les agenciers ont une supériorité sur les reporters free-lance ou les envoyés spéciaux : ils connaissent le terrain. Mais au sein de l’agence, l’identité des photographes de terrain se dilue.
Agences spécialisées
Il est des agences, non de presse, mais spécialisées dans la photo. Elles ont été créées pour la plupart dans les années 1960. Magnum a été une « coopérative » montée par Cartier-Bresson, Capa, Seymour, Rodger. Cartier-Bresson appelait ces hommes des « aventuriers qui avaient une éthique ». Mais les agences spécialisées disparaissent, car elles sont rachetées rachetées par des groupes qui jouent sur la bonification historique des clichés, qui deviennent patrimoniaux et très chers d’usage pour les clients.
Par exemple, en 2010 un « société d’investissement » américaine, MSD Capital, a acquis 185 000 clichés à valeur historique et esthétique. Les agences Sipa, Sygma, Gama se sont « vidées de leurs archives » au profit de géants : Eyeda, Corbis, Getty images.
Les collectifs actuels de photographes se constituent en acteurs alternatifs ne créant pas pour la seule presse mais dans le but d’abolir « la frontière entre le magazine, la galerie, le livre ». Il s’agit, écrivent les auteurs, de traiter « des histoires parallèles, à contre-courant ». Mais les photographes ne peuvent pas gérer les dossiers commerciaux et économiques de leurs structures, et cela reste un domaine « périlleux ».
Comment les photos sont-elles reçues ?
La presse quotidienne a besoin de photographies, c’est un fait, mais ce sont les magazines qui la supplantent dans l’usage des productions de photographes. Des magazines tournés vers une spécialisation : « professionnelle, de loisirs, institutionnelle, presse jeune ».
Les « pure players », les « blogs », mais aussi les réseaux sociaux en utilisent aussi. Dans ce secteur « une nouvelle écriture, le webdocumentaire fait la part belle à la photographie. Les sites de la presse écrite mais également des télévisions, « Arte, France , lemonde.fr » s’y mettent.
Délaissée par la presse, la photo « migr[e] vers les cimaises ou les grilles des jardin spublics (Le Luxembourg à Paris, l’Esplanade à Montpelliers », sans compter les festivals : les Rencontres d’Arles, le Visa pour l’image de Permpignan : « rétrospectives de professionnels reconnus, la découverte de débutants venus du monde entier, de nombreux travaux non diffusés dans la presse ». Ce sont des chiffres : trois mille professionnels, dix mille visiteurs, six mille scolaires.
L’on peut dire qu’il y a « réception » de la photographie en tant que telle et non comme objet marchand. Définir la place de l’image de presse « revient à analyser les aspects sociaux, culturels, psychologiques et idéologiques qui sous-tendent [sa] réception.