La liberté de la presse en France / Héritage et actualité, in Éducation aux médias (Sceren CNDP-CRDP / Clemi), oct 2011, un ouvrage écrit par SOLENN DUCLOS
Proclamation de la liberté de la presse
La proclamation de la liberté de la presse en France date de 1789. La liberté d’expression fait partie des « droits les plus précieux de l’homme ». Mais c’est le 29 juillet 1881 que les choses commencent à prendre tournure. C’est une « loi paradoxale » car elle garantit à la presse des droits qu’elle s’emploie à limiter. C’est tout le contraire du « premier amendement de la Constitution américaine [qui] interdit toute loi restreignant la liberté d’expression ». La liberté de la presse, en France, n’empêche pas la condamnation, par exemple, de Zola, qui s’est lancé dans un tonitruant J’accuse ! Nous avons affaire à une liberté encadrée. En 1944, dans les affaires judiciaires touchant la presse, on établit un jury populaire, plus clément qu’un jury de juges professionnels, chatouilleux sur ce plan.
Guerres liberticides
En temps de guerre, au XXe siècle, la liberté de la presse s’est traduite par une éclipse totale, en 14-18 et 39-45 notamment. Secret militaire et avenir du pays étant en jeu. Puis des notions comme l’indépendance économique des journaux, le droit à l’image, le respect de la vie privée, la présomption d’innocence sont apparues au fur et à mesure.
L’avènement d’Internet a favorisé la liberté d’expression : « le droit du Conseil de l’Europe oriente par petites touches la conception française vers une voie plus libérale, proche du modèle anglo-saxon ».
Un moment fondateur, la Révolution
La presse de l’Ancien régime « vit sous le signe de la censure ». Avant 1789, toute publication est « conditionnée à l’obtention d’une autorisation accordée par l’autorité royale ».
La Gazette de Théophraste Renaudot, dès 1631, voit la mainmise du pouvoir sur elle. Si toute nouvelle publication « empiète sur le domaine du journal privilégié », elle est bonne pour une amende et doit s’exiler hors de France. Patente, privilège, et rien d’autre. La Gazette n’a pas le droit de fournir d’information de type politique ou religieux. Pas d’ « atteinte au principe de gouvernement, aux bonnes mœurs et à la religion ».
Fondements philosophiques
La Révolution a fait « souffler un vent de liberté », dont elle, la liberté de la presse. La liberté que les révolutionnaires « imaginent » est celle de la philosophie des Lumières plutôt que la conception anglo-saxonne. Il faut dire que les philosophes dédaignent les gazetiers, simples « écoliers » selon Voltaire. Il ne vient même pas à l’idée des philosophes de publier sur ces feuilles volantes. Seul le livre compte. La presse pour certains philosophes n’est qu’une machine à encre et à imprimer et n’a pas le sens, pour le corps social, d’écrits périodiques rendant compte des événements et des opinions du moment.
Chez les Anglais c’est différent. Des gens comme John Milton, John Locke, tablent sur l’importance de l’individu (alors que le « citoyen » français n’est que l’infime partie du Tout). L’individu est un contrepouvoir en place. Les Pères fondateurs, révolutionnaires anglais devenus américains ont « érigé la presse en quatrième pouvoir au nom de la liberté individuelle ».
Une liberté de la presse très encadrée par le pouvoir
L’Assemblée se réunit le 27 juin 1789 et « fait le serment de rédiger une constitution ». Elle fait précéder celle-ci d’une « déclaration des droits sur le modèle américain ». La liberté de la presse est traitée comme devant être limitée dans le souci du bien commun. Donc « tout citoyen peut […] parler, écrire, imprimer librement, sauf à réponde de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Aux États-Unis, on a une presse aux droits inaliénables et « au-dessus de la loi », en France une « liberté encadrée ». Une « loi Thouret énumère les délits de presse pour tenter de réglementer les journaux révolutionnaires, les « calomnies volontaires contre les fonctionnaires » administrateurs de l’Etat royal.
Fin d’une illusion
Cependant, de 1788 à 1792, les journalistes sont à peine contenus et se permettent une liberté illimitée, dans les faits. Et commence après la chute de la monarchie, une suite de censure. Jusqu’en 1875, les « régimes successifs vont s’employer à censurer les journaux en assimilant délit de presse et délit d’opinion ». Combat entre Robespierre et les Girondins : ces derniers ne veulent pas de la Terreur envoyant à la guillotine des journalistes opposés à la dictature.
Avec le coup d’Etat de Brumaire, Napoléon Bonaparte « muselle les journaux » par des méthodes liberticides : autorisation conditionnelle, censure, mesures financières, interdiction et suppression. Il met « la presse départementale sous le contrôle des préfets en 1810, il finit par supprimer les journaux politiques parisiens ». Il ne laisse survivre que quatre journaux à Paris.
Tous les régimes, de 1815 à 1881 « réservent aux journaux un sort comparable ». Mais selon Chateaubriand : « La presse, c’est la parole à l’état de foudre. C’est l’électricité sociale. Pouvez-vous faire qu’elle n’existe pas ? Plus vous prétendez la comprimer, plus l’explosion sera violente »
La loi du 29 juillet 1881
« Nous ne proclamons pas la liberté, nous faisons mieux, nous la réalisons ! » (Eugène Lisbonne) Cette loi de 1881 est « encore aujourd’hui le cadre juridique de référence en matière de presse ». Pourquoi prend-elle ? Parce que le terrain idéologique de la IIIe République le permet. Mais elle n’est pas promulguée facilement.
Un homme d’État comme Clémenceau lui préfère une absence de loi, à l’anglo-saxonne, un fonctionnement plus pragmatique. Il propose de la soumettre « au droit commun […] qui responsabilise tout un chacun par la réparation des dommages causés à autrui […] qui punit la provocation aux crimes et délits ». Jules Ferry, lui, préfère adopter une loi.
Avec la loi, qu’est ce que ça change ?
On supprimait les « entraves préalables […] que sont le cautionnement et l’autorisation »
Le délit d’opinion est supprimé. Est abandonné « l’outrage » à la République, au Sénat et à la Chambre des députés, à la monarchie. Ces instances peuvent être discutées, contestées « selon un droit absolu ».
Mais il est interdit de proférer des propos « mettant en danger l’État, la nation », de provoquer aux crimes et délits, d’inciter « les militaires à la désobéissance », de s’attaquer au président de la République, aux corps constitués, à l’indépendance et à l’autorité de la justice. Les particuliers sont défendus contre la calomnie et l’injure.
Il faut noter une « responsabilité en cascade » : s’il y a délit, le responsable est soit « le gérant désigné par l’entreprise », soit l’éditeur, soit l’auteur, soit l’imprimeur, soit le vendeur, soit le distributeur, soit l’afficheur…
Du côté de la procédure, l’article 45 défère les crimes et délits à un jury populaire plutôt qu’au correctionnel. Les jurés populaires passent pour être plus cléments.
Une loi non aboutie
La loi « libéralise la publication mais ne définit pas le rôle de la presse dans une société démocratique, et lui attribue encore moins ce rôle de contrepouvoir qui est offert par le système anglo-saxon ». Les deux tiers du texte sont consacrés « non à la liberté, mais à l’abus de la liberté ».
Dès 1882, « afin de lutter contre la pornographie, une loi supprime le jury populaire et correctionnalise le délit d’atteinte aux bonnes mœurs ». En 1893-1894, pendant les attentats anarchistes, la République crée le « délit de propagande anarchiste », lois jugées « scélérates ».
Elles servent un peu plus tard vers 1920 contre le communisme. Le décret-loi de 1935, de Pierre Laval, interdit à tout homme d’État français d’insulter un chef d’État étranger, en l’occurrence Benito Mussolini attaqué par la presse. Le 10 janvier 1936 correctionnalise le délit de provocation : c’est ainsi que Maurras est emprisonné pour avoir insulté Léon Blum. En 1935, le statut des journalistes est en partie modifié : le journaliste peut jouer « de la clause de conscience et démissionner tout en bénéficiant du régime juridique du licenciement en cas de modification substantielle de la ligne éditoriale [du] journal ».
AU XXe siècle, c’est la protection des droits individuels qui limite le travail de certains journalistes limiers : droit à la vie privée, droit à l’image, présomption d’innocence. Une forme d’influence de l’individuation anglo-saxonne ?
Le XXe siècle des mises à l’épreuve
Durant tout ce siècle, l’État doit garantir la liberté de la presse tout en suivant l’évolution des techniques.
L’épreuve des guerres
La liberté de la presse sort toujours blessée du « choc des guerres ». En 1914, l’état de siège est mis en place par les Chambres, et tout journal ou article tomberait sous le coup de la loi, dont « les propos nuiraient à la marche vers la victoire : informations militaires contrôlées par le bureau de presse du ministère de la Guerre ».
L’opinion (l’arrière) et une partie de la presse acceptent « le principe de cette censure ciblée ». Puis de militaire, la censure devient diplomatique et politique « laissant le pays dans l’ignorance de la réalité de la guerre ». Il faut dire que les parutions « font de la propagande et exploitent la crédulité des lecteurs civils ». On parle de bourrage de crâne.
D’où, en 1918, l’adoption de la charte « des devoirs professionnels des journalistes français » qui traite en 14 points les règles déontologiques, « en guise de mea culpa, mais sans portée juridique ». La guerre de 1939-1945 censure, produit de la propagande orchestrée par le « Commissariat général de l’information ». La presse, sous l’Occupation sert les intérêts vichystes et des Allemands.
Des reporters encadrés
La censure, en général, n’est relevée que quelques années après la guerre ; elle est abolie en 1920 pour la Première Guerre mondiale et en 1947 pour la Seconde. Il ne faut pas oublier les guerres d’Indochine et d’Algérie pendant lesquelles on saisit les journaux, on encadre les reporters, préfigurant l’ « embedment » actuel.
La presse est-elle un service public ?
La loi de 1881 rend la presse indépendante du politique mais pas des milieux financiers. Entre 1880 et 1940 la presse sous influence indigne Jean Jaurès : « Des subventions de tous ordres viennent alimenter la presse capitaliste, subventions dont la source même est fermée, doit être fermée à la presse socialiste ». Le capitalisme s’embourbe dans des affaires sales : canal de Panama, « affaires Hanaux, Oustric, ou Stavisky ». Certains titres sont plongés dans une « abominable vénalité », selon les communistes.
Havas, Hachette, les monopoles
Des monopoles se constituent en pesant sur les contenus : Havas est régie publicitaire et agence de presse ; Hachette a le monopole de la distribution et contrarie la diffusion de certains titres. Ce n’est qu’en 1928, que le principe du service public de la presse est défendu par Léon Blum : « L’État doit assurer une égale diffusion des idées politiques et prendre en charge les dépenses et les recettes de la presse ». Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale que la presse est réorganisée. L’État fournit « à la ‘nouvelle presse’ les moyens matériels de son existence. »
A la logique libérale de 1881, se substitue la logique dirigiste. La presse « pourrie » des années 1930 laisse la place à une « presse morale et régénérée », ce qui garantit un pluralisme. L’État aide la presse sous différentes formes : « régulation du prix, de la pagination, importation et répartition du papier, aide à la distribution… » Le risque est la lourdeur de l’aide étatique : depuis 1957, l’État aide l’Agence France Presse (40 % de son chiffre d’affaires en abonnements publics) ce qui fait grincer des dents.
Mais l’encadrement par l’État montre des limites : la presse spécialisée, exclue de cette aide « profite de la liberté d’entreprise » tandis que la presse traditionnelle connaît une décroissance notable.
Lorsque De Gaulle est au pouvoir, le chef de l’État dénie tout contrepouvoir positif à la presse. Et ce qui vaut pour la grande presse papier, vaut aussi pour la radio et la télévision.
Et les médias audiovisuels ?
Médias audiovisuels : le cinéma, par exemple. « C’est au nom de l’ordre public que les actualités filmées ne bénéficient pas de la loi sur la liberté de la presse et sont considérées comme des ‘spectacles de curiosité’ » (Clémenceau, 1909 à propos d’un exécution publique à Béthune).
La voix de son maître
A la Libération radio et télévision relèvent d’un monopole d’État pour contrer le régime privé des « stations privées » qui « ont cédé aux sirènes du commerce et de la collaboration ». L’État s’estime propriétaire des ondes et les distribue comme il l’entend. Lesdites « stations » détournent la loi en émettant depuis l’étranger. Le général de Gaulle entend conserver la mainmise sur radio et télévision et elles ont vocation à être « la voix de la France (Pompidou).
Explosion de l’ORTF, naissance des radios pirates
28 juin 1972, c’est l’éclatement de l’ORTF, mais l’emprise est encore là. Quant à Giscard d’Estaing, il estime que le « petit écran » a vocation à divertir et non à informer et à faire penser [part vierge de cerveau disponible aux annonceurs, récemment]. De plus en plus de monde réclame la libéralisation des ondes (radiophoniques ou télévisuelles). En 1979, le Parti socialiste « installe en son siège une radio pirate », « fer de lance dans la bataille des ‘radio libres’ ».
Radio-Fric et Télé-Paillettes
Pierre Mauroy, une fois la libéralisation lancée, parlera d’une « radio-fric » et « télé à paillettes », sans le monopole de l’Etat. C’est ainsi que depuis le 5 mars 2009, les présidents de Radio France et de France Télévisions sont nommés par le président de la République ».
De plus en plus de monde demande à ce que soient libérées les ondes pour leur affectation plus large et démocratique. Les Parti socialiste « installe dans son siège une radio pirate le 28 juin 1979 », qui annoncera les « radios libres ».
C’est en juillet 1982 que les radios deviennent libres et fleurissent. L’instance chargée de « délivrer les autorisations de diffusion » est nettement séparée du pouvoir politique. Après Canal + en 1984 , d’autres chaînes apparaissent et « le câble et le satellite multiplient le nombre de chaînes dans les années 1990 ».
Pierre Mauroy constate avec amertume que la libéralisation des canaux amène « radio-fric » ou « télé à paillettes ». Le débat continue jusqu’en 2009 où les présidents de Radio France et de France Télévisions sont nommés par le chef de l’État et non plus par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Retour à l’ORTF ?
Un élan libéral sans précédent
La liberté de la presse est attaquée, mais « les coups qui lui sont portés » sont médiatisés. Ainsi, il semble que quand un journal subit une agression, les confrères d’un autre titre ne manquent pas de le faire savoir. Ainsi, en 2007, Rue89 dévoile la censure par le Journal du dimanche d’un article sur Cécilia Sarkozy, qui allait révéler son abstention aux élections présidentielles. Le Canard enchaîné a révélé comment l’Équipe évitait la « question du dopage » sur le Tour de France, dans la mesure où son investisseur était également « organisateur du Tour ». Mais « le régime de la presse prend depuis une trentaine d’années une coloration libérale sans précédent.
Droit d’informer et d’être informé
En 1984, le gouvernement Mauroy essaie de juguler les concentrations de la presse. Est visé le « groupe Hersant ». Le Conseil constitutionnel est saisi et cette « haute juridiction » crée un nouveau droit : « le droit des lecteurs à l’information ». Les lecteurs en sont les destinataires (article 11 de la Déclaration de 1789). Tout citoyen a le droit d’être informé de manière démocratique avant de pouvoir voter. Cette jurisprudence est « étendue aux auditeurs et aux téléspectateurs en 1986 ».
L’information doit être pluraliste et représenter l’ensemble des opinions. Le droit d’être parfaitement informé pour le citoyen doit logiquement reposer sur le droit du journaliste à parfaitement informer. Le Conseil constitutionnel se fait alors « le protecteur des droits naturels et des libertés publiques qui en découlent face aux pouvoirs législatifs et exécutifs » L’article 11, qui « proclame que la liberté d’expression est un des biens les plus précieux de l’homme, acquiert valeur constitutionnelle ».
Ce droit « prend place au sommet des hiérarchies de normes et s’impose au législateur ». De plus, le Conseil de l’Europe estime que le droit d’informer et de l’être est une valeur inaliénable, et la France ratifie cette notion en 1974.
Crimes et délits : imbroglio juridique
La loi de 1881 interdisait la représentation de la personne victime de crime ou délit. Elle ne devait pas être montrée. En 1996, les juges estiment que la personne blessée au cours d’un attentat ou événement de cette nature n’est pas soumise au droit à l’image, au profit du droit du citoyen à être informé de l’amplitude des événements survenus.
En revanche, le droit à l’image persiste, dans certaines circonstances ainsi que le respect absolu des sources du journaliste vis-à-vis des autorités.Les notions en jeux sont complexes. Toujours est-il que « le droit d’informer est primordial dans une démocratie, et toute restriction de la liberté d’expression doit être strictement limitée et encadrée ».
La liberté de la presse et les droits individuels
« La seconde moitié du XXe siècle » voit la « montée de la revendication des droits individuels » qui touche fatalement « les nouvelles conditions au droit d’informer ». Vie privée, droit d’appartenance de son image, la présomption d’innocence limitent la liberté de la presse. On note donc que l’intérêt privé de la personne prévaut sur l’intérêt de l’information publique.
Respect de la vie privée
Le respect de la vie privée est inscrit dans les textes, selon la loi du 17 juillet 1970, à l’article 9 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée », « vie familiale, amicale, amoureuse », selon l’auteur. Cependant les « gouvernants » sont à la frontière de la loi : la santé d’un président de la République doit être transparente, au cas où la capacité de diriger est amoindrie chez cette personne. Et la vie privée salariée et de patrimoine ? En 1995, Le canard enchaîné publie la déclaration d’impôts de Jacques Calvet, pdg de Peugeot. Le journal est condamné « pour recel de violation du secret professionnel » sur un fond de conflit syndical. Risque de tourmente sociale ? Mais l’affaire est portée plus haut et la Cour européenne des droits de l’homme « renverse finalement l’argument, considérant que l’article incriminé ‘’apportait une contribution à un débat public relatif à une question d’intérêt général’’ »
Autre affaire : Ségolène Royal. Celle-ci (ministre de l’Environnement) accepte volontiers d’être photographiée avec « sa dernière-née ». Belles photos d’une maternité heureuse. L’image de Ségolène Royal est absolument positive. En revanche, en 2008, alors qu’elle est en prière dans une église italienne, elle estime que la photo la touche dans son privé. Laïcité : ne pas présenter de personnes connues sur le lieu de leur culte ou en train de le pratiquer.
Liberté de la presse et instruction judiciaire
La présomption d’innocence est « un droit fondamental qui s’impose aux journalistes, limitant de fait la liberté d’informer : un individu, même suspecté […] passible de sanctions pénales » doit être considéré comme innocent tant que la justice ne s’est pas prononcée.
L’affaire d’Outreau « dans laquelle plusieurs personnes avaient été soupçonnées d’abus sexuels sur des enfants, puis condamnées en 2004, avant d’être reconnues innocentes l’année suivante » est un électrochoc social, judiciaire et médiatique. Les sources n’avaient sans doute pas été croisées. Malgré cela « rares sont les médias à avoir admis leur propre responsabilité dans l’emballement ».
De grands journaux comme Ouest-France se sont dotés de chartes. Ouest-France a mis la sienne en place en 1988. C’est un code qui se donne quatre grandes règles : « dire sans nuire », « montrer sans choquer », « témoigner sans agresser », « dénoncer sans condamner ».
Mais des « fuites » en violation du secret de l’instruction sont nombreuses et le journaliste y oppose le droit au secret absolu concernant sa source. Selon Edwy Plenel, le secret des sources protège le citoyen, et l’informateur qui alerte permet à la presse de tenir des propos relativement objectifs sur des événements de la cité.
Le Canard enchaîné (27 oct 2010) « fait remarquer que la protection des sources dépend maintenant de l’interprétation de la Cour de cassation, qui pourrait bien réduire à néant ‘’un texte que tous les journalistes réclamaient depuis des lustres […] : ne pas protéger les sources, c’est tarir et donc ne fournir aux citoyens que la mauvaise soupe de l’information officielle’’ »
Internet et la liberté de la presse
Est-ce qu’Internet modifie les « données en matière de liberté de la presse ? » La liberté de s’exprimer sur la toile se trouve démultipliée à l’infini si un beuze est généré. La fabrication d’un journal, sa distribution sont des opérations lourdes. Un simple ordinateur, une connexion internet suffisent pour fabriquer de l’information immatérielle.
L’internaute est-il un journaliste ?
Au plan sociologique, on s’aperçoit que les journalistes, personnes spécialisées et formées pour traiter l’information, sont remis en cause par n’importe qui. A côté des sites internet « traditionnels » existent des sites, des blogs pris en charge par un particulier, une association, qui prétendent pouvoir contribuer à l’information du public.
Le paysage de la presse professionnelle en ligne se subdivise en deux : la première est la version numérique « correspond à la version numérique de la presse préexistant à Internet.
La seconde est constituée par les « pure players », c’est-à-dire les titres qui n’ont pas de version papier et se suffisent sur l’Internet. Il en va ainsi de Rue89, en 2007, qui émane de Libération, et de Médiapart émanant en 2008 de la rédaction du Monde. En fait, à l’exception de Médiapart qui n’est accessible que par abonnement, tous les autres sont des « gratuits », et vivotent entre une version papier et une version numérique.
Mais est-ce qu’Internet « facilite la ‘’fabrication’’ d’un journal et devient « vecteur de liberté ? » Il est difficile de dire que les pure players et les autres « s’affranchissent plus facilement du politique et de l’économique ». Ils sont susceptibles d’être mis en cause, comme les grands journaux papier qui tiennent le rôle de « chien de garde ». Le Canard enchaîné jouit d’une grande virulence qui lui vient du fait de son indépendance économique.
Internet et la loi de 1881
Il est complexe d’appliquer des règles à des organes de presse sur les nouveaux supports : ils peuvent être internationaux et résider à l’étranger. L’application d’une loi nationale n’a pas de portée sur une autre loi nationale. La loi Gayssot du 13 juillet 1990 punit la contestation des crimes contre l’humanité.
Groupuscules néo-nazis installés dans l’entre-deux
Des groupuscules d’extrême-droite français « ont choisi d’héberger leurs propos aux Etats-Unis pour bénéficier de la liberté d’expression à l’américaine, plus libérale. Mais même s’ils sont « hébergés » à l’étranger, un jugement du 13 novembre 1998 mentionne que cela relève du « délit de l’article 24 bis, c’est-à-dire que la loi nationale s’applique à un texte provenant des Etats-Unis. […] la décision des juges français tendrait vers une applicabilité de toutes les lois nationales à chaque texte publié sur le Net ».
Cette jurisprudence allait dans le bon sens, mais d’autres juges, américains, ont fait jouer la liberté complète d’opinion : « C’est donc la conception américaine de la liberté de la presse qui s’imposerait, une conception qui assimile l’interdiction de propos racistes ou révisionnistes et le délit d’opinion à des délits contraires à la substance de la liberté d’expression. »
Le temps et la diffamation
Paradoxe : qu’en est-il de la prescription du délit de diffamation sur un support numérique, même au plan national ? Le journal papier a une vie très courte : le lendemain, l’article incriminé s’est envolé, tandis que sur le Net les articles restent en ligne un certain temps. La jurisprudence « a estimé en 1999 qu’Internet était un support à publication continue, donc que le délit est lui-même continu, par conséquent imprescriptible ». Maintenir un article problématique en ligne est « interprété comme une volonté délictueuse du responsable de la publication » en France. Mais certains journaux imprimés numérisent leurs archives, ce qui pose alors le même problème.
Double peine
Une personne a commis un délit, a été jugée coupable par la justice, ladite personne effectue un séjour en prison. La peine purgée, la personne ne se trouve pas protégée par « le droit à l’oubli ». Il suffit qu’un internaute réactive des archives et la personne est à nouveau sous les projecteurs. Elle purge une double peine.
Anonymat et responsabilité
Qu’en est-il de l’internaute anonyme ? Pour les sites de presse, on applique la loi de 1881 : le directeur de la publication est responsable des propos. Quant aux blogueurs, ils doivent fournir des « informations personnelles nécessaires à les identifier en cas de litige ». La loi contraint également l’hébergeur à supprimer les propos illégaux du site.
Le blogueur, un journaliste ?
Il n’est qu’à lire des blogs pour les estimer à leur juste valeur. Les sources sont inexistantes, les propos ont un ton polémique, relèvent parfois de l’insulte : rien de concret, rien de construit, d’argumenté.
Le bon lecteur se rend tout de suite compte qu’il n’a pas affaire à un blogueur à la hauteur du journaliste qu’il pense être en le remplaçant.
Assange / Snowden : délit ou avancée libertaire ?
Des sites comme celui de Julian Assange et Edward Snowden invitent au dépôt d’infoleaks (leak : fuites) et les sécurisent par cryptage. Les informations y sont très sensibles parce qu’elles relèvent de la divulgation de données militaires. La presse s’interroge sur cette pratique. Libération estime qu’on affaire à « une dictature de la transparence », tandis que le Monde se dit « partenaire de Wikileaks pour l’expertise, le tri et la hiérarchisation des informations avant leur publication en novembre 2010.
Avec « Internet et la révolution numérique, dont Wikileaks est le pur produit apatride et libertaire, la liberté de la presse ne doit-elle pas s’envisager aujourd’hui dans un cadre transnational ? » L’information est mondialisée. Le monde multipolaire n’obéit pas à un type d’information « universaliste » (celui des démocraties occidentales).
L’information fiable, une donnée fragile
L’information « s’accompagne de diverses propositions : garantir la liberté par le droit international ; mettre en place une convention qui protègerait les journalistes « à l’instar de la convention internationale des prisonniers de guerre ». L’information est fragile, sa liberté demande beaucoup de vigilance.