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Publié : 1er avril 2015

Un modèle économique introuvable

La gratuité de l’information

Un ouvrage de Marie-Christine Lipani-Vaissade
Sceren Réseau Canopé / Clemi 2013

Avancées technologiques

Les technologies ont transformé les usages médiatiques, notamment chez les jeunes : l’information devient gratuite sur l’Internet, ce qui fragilise « les entreprises de presse traditionnelle ». Le jeune se dit que le travail du journaliste est sans « valeur ». A quel enjeu les médias sont-ils soumis ? Il faut souligner que l’’apport journalistique ne repose pas sur une simple horizontalité (« conception égalitaire de la société », l’internaute valant le journaliste) ou sur « des approches communicationnelles » dont le but est le « meilleur profit ».

L’auteur explique que son ouvrage se subdivise en deux parties : la première, de type « sociohistorique » rappelle que la gratuité « a une longue histoire » ; la deuxième inspecte les aspects économiques dus à l’arrivée du numérique et les nouvelles orientations prises par la presse. Pour enfin poser la question : « la gratuité de l’information comme modèle économique n’aurait-elle pas atteint ses limites ? »

- 1- LA GRATUITÉ, UNE ARME REDOUTABLE

Les contenus sont en quasi accès libre sur l’Internet. Un simple abonnement de smartphone offre « des services et des contenus informationnels ». La gratuité est présentée comme idyllique et « large accès à la culture », et Facebook ou Twitter comme de simples mais « révélateurs profonds de changements sociaux ». Le chercheur Chris Anderson (également rédacteur en chef de Wired) estime que la gratuité serait « sans valeur y compris affective ». C’est comme pour la psychanalyse, si le patient ne fait pas un effort pécuniaire, la cure est inefficace.

Gratuité généreuse ?

La valeur de la presse serait peut-être justifiée et « légitimée par une argumentation rationnelle minimale ». Le problème est que cela est difficile à opérer. La « notion de gratuité » renvoie à « une vision généreuse de la société au service de l’intérêt collectif » qui est un « héritage des Lumières » et le principe de l’ « éducation pour tous ». Par ailleurs, des gratuits comme Métro ou 20 minutes sont issus du système scandinave de l’Etat providence et du « service d’entraide et de solidarité ». C’est dans cet esprit qu’est né l’Internet : ses « pionniers » étaient dans, la « contre-culture américaine […] l’émancipation et l’épanouissement des individus ». Les réseaux sociaux participent de cet ensemble d’idées.

Le faux don

On retrouve la théorie de Marcel Mauss sur le don (2007) : le « don », à savoir l’information gratuite, implique un « contre-don » qui crée obligation de l’interactivité de l’internaute mais surtout le dévastateur élément qu’est la publicité : « on ne peut échapper à la publicité, qui constitue le contre-don ». Inconsciemment l’internaute se sent obligé d’acheter.

Consommation

Mais les acheteurs ne seraient pas des clients, seulement des « usagers » et la propriété impliquée par l’achat se transformerait en consommation. L’essentiel est « d’avoir accès à » plutôt que de s’approprier, avec une dématérialisation des valeurs marchandes. C’est l’univers du service, plutôt que de la vente. Ce rideau de fumée se fait au détriment de la véritable démarche citoyenne.

Alors, que devient l’information ? Est-elle de qualité, « élaborée par des professionnels, vérifiée, mise en forme, s’appuyant sur des fait […] mise en perspective » ? S’agit-il de « recevoir un énoncé rapide des nouvelles du jour » pondu par un robot ? : « Données brutes, sans éclairage […] ou des enquêtes approfondies ». L’information gratuite ne peut être de l’information approfondie. Arrive-t-on à une information à deux vitesses ? La bonne pour ceux qui savent la trouver et la payer, et la mauvaise en circulation libre et minée. La gratuité « au lieu d’abolir les clivages introduirait au contraire de nouvelles fractures » ? Fracture générationnelle ?

L’info gratuite en France : historique

L’Internet grand public arrive en France vers 1995. Mais avant, il y avait déjà de l’information gratuite : « […] au sein des radios privées ». En effet, pas de « redevance » pour l’écoute. Les radios vivent de la publicité. La qualité professionnelle des journalistes n’était pas mise en doute. C’était déjà, « la guerre de l’info ». La presse écrite critiquait fermement ces stations de radio, estimant qu’elles mettaient en péril son activité. La presse risquait de perdre ses « lecteurs » et ses « annonceurs ».

Placards et cabinets de lecture

Mais les pionniers de la gratuité viennent de plus loin encore : sous l’ancien régime français. En 1789 « la presse d’opinion est réservée à une certaine élite » car coûteuse. C’est alors que l’affichage ou la lecture publique deviennent de l’information gratuite. Les cabinets de lecture des 18e et 19e siècle sont dans la mouvance. En 1836, alors que la presse fonctionne surtout par abonnement, cher, Emile Girardin fait entrer la publicité dans son journal, La Presse et « lève l’obstacle de l’argent ». Ce journal est accessible car le prix de l’abonnement baisse considérablement. Ses concurrents l’accusent de « s’abaisser » à racoler un public large.

Dès 1960 jusqu’aux années 2000, les « gratuits d’annonces » se portent bien, avec une information minimale, il faut bien le dire. Aujourd’hui encore la PGA (presse gratuite d’annonce » (Paris Paname, Top Affaires à Lyon) « est disponible dans les boîtes à lettres » générant 920 millions d’euros en 2003. Lesdits journaux « améliorent leur impression et s’enrichissent de rubriques plus attractives comme les programmes de télévision ». Cette presse « perd de sa vitalité » au profit de sites (leboncoin.fr par exemple). La « presse d’entreprise » arrive aussi avec Epok (Fnac), « Ca se passe comme ça » (McDonald) ou la SNCF (TGV Magazine). Les jeunes journalistes en quête de piges, au début de leur carrière, passent par des journaux édités par les collectivités territoriales. Chaque maire souhaite toucher le lectorat recouvrant ses administrés.

Journaux scolaires et lycéens

« De très jeunes journalistes font aussi depuis de nombreuses années l’expérience de la gratuité de l’information ». Sur les 223 journaux lycéens de 2011-2012, 167 sont gratuits, les autres sont payants en centimes symboliques pour responsabiliser les lecteurs. Pascal Famery en charge de ces journaux au Clemi national estime : « Quand les élèves s’informent, par la presse papier, ils le font surtout à travers les titres gratuits comme 20 Minutes ou Métro. Ils naviguent aussi sur Internet et consultent toutes sortes de sites ». Mais quand ils tombent sur un site d’information gratuite de grand quotidien, « […] ils ne se représentent pas le travail réalisé par les journalistes ».

Choc des quotidiens gratuits et des pure players

La presse quotidienne gratuite, en France, a été un électrochoc pour la presse traditionnelle payante : celle-ci doit « s’interroger sur sa propre structure ». Pourtant, à bien y regarder, « les quotidiens gratuits n’ont pas éliminé les titres nationaux payants ». Les lecteurs adultes font la différence entre une presse travaillée et une presse de simples dépêches ou d’agrégats de faits non analysés. La presse gratuite est perçue comme exclusivement financée par la publicité, soupçonnée de ne pas être indépendante, de ne pas offrir « l’objectivité des contenus ».

Mais la presse payante (Le Monde, Libération, Ouest-France) s’est en partie transférée dans le gratuit numérique. Il s’agit d’une logique de réplique : le papier et la version numérique doivent attirer tous les lecteurs. L’édition sur support numérique s’affiche comme d’aussi bonne qualité que sa version papier.

Les gratuits : se construire un public

La logique économique des titres gratuits (quotidiens papier) est de se « construire un public » et d’établir « une relation privilégiée avec lui ». Les annonceurs payeurs, sollicités par les gratuits » tablent sur un public large, également de qualité.

Cependant, on note deux modèles : le « modèle double local ». Celui-ci comporte un rédactionnel de 80% d’informations locales et 100% de recettes locales ». Le deuxième modèle (Métro, 20 minutes) est équilibré entre le local et le national.

Les quotidiens français payants sont plus chers que leurs confrères européens ou autres : ils coûtent plus d’un euro, contre 65 centimes en Italie, 52 en Allemagne et 36 aux USA.
C’est l’offre coûteuse des quotidiens français qui a peut-être causé la création des gratuits.

Les non-lecteurs de presse : visés !

Les gratuits « sont positionnés sur un marché précis, celui des non-lecteurs de la presse quotidienne » : les jeunes, qu’ils soient étudiants ou trentenaires actifs et urbains et les femmes. L’ « offre éditoriale » vers ce public comporte : des informations factuelles avec une absence de commentaire ou d’analyse (neutralité et effacement du locuteur principal), des formes brèves, beaucoup d’illustration, ce qui facilite « une lecture ‘’zapping’’ ». Les gratuits « vont chercher » le lecteur en « diffusion offensive , dans des lieux stratégiques (« lieux de passage »).

Caricature ?

Il ne faut pas caricaturer les lecteurs de cette presse gratuite : il y a un « contrat de lecture implicite » avec eux, car ils ne confondent pas ce type d’information consommable et une information complète. Ce qui est recherché, c’est simplement une « idée précise de l’actualité du jour ». Ces formats informationnels accompagnent la « mobilité » jeune dans la fragmentation du « n’importe où, n’importe quand et à n’importe quel rythme ». Segmentation pour des « attentes différentes ». Cependant la crise touche aussi les gratuits qui peuvent pâtir de la frilosité des annonceurs publicitaires.

Pure players et sites d’information

Parallèlement à la presse gratuite, il existe une presse en ligne qui poursuit son développement. Les pure players (journaux uniquement numériques). Le contenu rédactionnel est également gratuit. Rue89 issu de Libération, Le Post issu du Monde furent les permiers en 2007. Mais en 2008, c’est Edwy Plenel qui lance Mediapart, journal en ligne payant spécialisé dans l’investigation.

Ces journaux immatériels sont en concurrence avec les sites d’information des quotidiens nationaux. Rue89 propose « une information à trois voix : journalistes, experts, internautes ». Selon une étude de l’agence Reuters (Reuters Institute of journalism) les pure players français font preuve d’innovation économique, « en mélangeant différentes formules : gratuité, vente à l’article, gratuité mais archives payantes ». Ces sites sont perçus comme de bonne qualité. Le marché des tablettes se développant, « la question centrale est : des applications gratuites ou non ? »

- 2 - LA GRATUITE, PROCESSUS COMPLEXE AVEC DES GAGNANTS ET DES PERDANTS

Offre variée

De nouveaux supports comme la tablette ou les téléphones portables sont les « moyens les plus rapides d’accéder à l’information ». Gratuitement, le plus souvent. Eric Scherer (directeur de la perspective du groupe France Télévisions) estime que pour les « 17-34 ans, le premier écran est celui du smartphone, devant l’ordinateur et même devant la télévision ». Face à ces évolutions techniques créant des attitudes nouvelles, « les médias ont choisi la complémentarité des contenus et des supports pour proposer des offres variées ». La presse écrite s’est transférée sur Internet, les acteurs du web sont disponibles sur les médias mobiles et les chaînes de télévision se sont lancées aussi sur l’Internet.

L’immédiateté

Les destinataires, « ont une quarantaine de ‘’contacts médias’’ par jour », tous médias confondus. Y compris les réseaux sociaux offrant de l’informationnel. A ce public, il faut plusieurs sources techniques, « d’un support à l’autre ». Ce public se manifeste par : « l’anonymat, le participatif, l’interactivité, l’intervention des internautes, l’immédiateté, l’information en temps réel, l’abondance […] la gratuité ».

Les journalistes doivent se former à produire sur différents supports, suivre les réactions des internautes en les intégrant, ce qui fait changer les contenus. L’information devient de l’Internet « live », « en direct » qui se vit en « mise à jour, minute par minute »

La gratuité numérique a commencé à se développer en 2002 , avec le haut débit, amenant « le piratage massif de la musique sur Internet ».

La dématérialisation, fin de la rareté

On dit de l’information qu’elle est un « bien d’expérience » dans la mesure où on ne connaît sa « valeur » que quand on l’a « consommée ». Mais c’est du bien « non rival » : la consommation qu’on en fait, n’empêche pas les autres de la consommer également. Elle est « toujours disponible pour les autres ». Ce que la numérisation entraîne est la remise en cause de la « valeur », du « coût », de la « rareté ». La rareté ne valorise plus. Car tout est disponible et tout le temps sur Internet. La dématérialisation des biens sur l’Internet réduit les coûts pour les sociétés (pas de personnel mais des machines).

Le gratuit : un investissement

Selon Frédéric Filloux, l’objet sur l’Internet est « transformé en bits, transposable, duplicable à l’infini et sa valeur tend vers le 0, d’où l’explosion de la gratuité ». Mais le coût du codage de l’information est un nouveau coût technologique. Cela nécessite le recrutement de gens « qualifiés : des ingénieurs, des informaticiens, des développeurs. Il faut bien écrire les codes et développer les logiciels ». Expertise qui se « monnaye très cher ». Offrir la gratuité ne se fait pas dans la gratuité. Il faut investir.

Le gratuit se banalise. C’est un outil qui cache « un instrument économique, un appât ». Qu’y a-t-il derrière ? : « […] des transferts, des subventions croisées, des marchandages en coulisse exploitant des rapports de force, laissant sur le carreau des gagnants et des perdants »…

La gratuité redoutable

Le numérique doit innover. Les « applications et les fonctionnalités » enrichissent les contenus. Le lecteur n’est pas un consommateur passif, il participe. Il co-construit l’information avec les journalistes… La capacité d’innovation des développeurs entraîne un nouveau modèle économique. Les « acteurs du numérique » sont les « constructeurs d’infrastructures réseau ou équipementiers (terminaux, PC, téléphone, console de jeux), les opérateurs (Orange, Free), les producteurs et éditeurs de contenus (presse, logiciels), les prestataires de service (moteurs de recherche, réseaux sociaux) ». Tout cela pour quoi ? Capter, capturer l’attention du consommateur. L’attention est devenue « un bien précieux ». Morceaux de pensée disponibles…

Offrir du gratuit n’est pas perdre

Qui se bat ? Orange, par exemple, qui fournit un « accès » mais aussi des « contenus gratuits » sur son portail, comme de la « vidéo à la demande ». Les opérateurs, qui n’ont que peu de lien avec l’information, créent une « relation privilégiée avec leur clientèle » en proposant un type d’ « information » ciblée. Émettre des produits gratuits ou peu chers, alors que les autres ne le peuvent pas crée une « position dominante ». L’ « offre à bas coût » de Free lui fait battre des opérateurs téléphoniques. Mais « proposer un prix faible ne signifie pas que l’entreprise ne gagne pas d’argent ». Orange complexifie ses offres et doit les faire suivre par du personnel, Free emploie dix personnes quand Orange en emploie mille.

Financer la gratuité…

Quels sont les systèmes économiques inventés par les médias pour répondre à l’époque ? Le financement par la publicité est vieux d’un siècle. Dans ce système, « le lecteur accède gratuitement aux contenus » mais « il paie par son temps et son attention ». Il est « exposé » à la publicité, « malgré lui ».

Promotion insidieuse

La généralisation de ce type de fonctionnement, par soumission au rayonnement (au sens médical !) de la publicité, dans l’Internet interroge « comportements et usages ». Comment considérer la valeur et la conception de l’information ? Dans un supermarché « une hôtesse qui offre une boisson ou un biscuit » est repérable comme agent promotionnel. Mais le numérique ouvre à tous les possibles sans qu’on les mesure. Le « caractère incitatif de la gratuité » conduit l’internaute vers des produits. Pas de « limites matérielles », pas de « contraintes de capacité ».

Sur Internet, « on ne paie le plus souvent que le ‘’transport’’ » (fourniture d’accès) et guère les « contenus ». Plus l’internaute navigue, « plus il est important pour les acteurs d’y proposer des contenus ». L’augmentation de la navigation, du « trafic » tend à faire prendre les produits comme « utiles » ou de « renommée ». Et l’utilité, la renommée relèvent la « valeur des biens ». C’est l’ « effet réseau ».

Les modèles d’Anderson

Chris Anderson (rédacteur en chef du magazine Wired) repère différents modèles économiques susceptibles de « financer la gratuité ».

- Premier modèle : les "subventions croisées directes" : un produit, un « bien » gratuit amènent à payer pour un autre, « plus complet »

- Le deuxième repose sur un « marché tripartite » : « une tierce partie paie pour participer à un marché résultant de l’échange gratuit entre deux autres parties ». C’est le financement par la publicité. C’est-à-dire que les lecteurs sont « vendus aux annonceurs ». Ou encore que « les annonceurs paient pour que les médias touchent le plus de lecteurs et que ces derniers fassent vivre les premiers.

L’économiste Nathalie Sonnac explique : « une plateforme est un intermédiaire qui rend possibles et faciles les interactions de deux groupes d’agents qui ont des gains à interagir ». Par exemple pour les jeux vidéos : « une plateforme de jeux a besoin d’attirer autant de joueurs que de développeurs pour augmenter ses parts de marchés, les uns se nourrissant de l’action des autres et vice versa.

- Troisième système identifié : le freemium. On a une version de base (une information), gratuite, mais pour le modèle élaboré, il faudra payer.

- Autre système identifié : « le marché non monétaire construit sur une économie du don ». On offre, « sans compensation ». C’est l’encyclopédie Wikipedia, par exemple.

- Le crowfunding : ou le « financement participatif », développé depuis 2000. Un « porteur de projet » (en information, un journaliste qui voudrait partir en long reportage à l’étranger) demande aux internautes de co-investir afin d’aller vers une réalisation du projet. Mais combien l’internaute perçoit-il une fois le projet réalisé et payé à son porteur ?

Hyper téléphone pour rien !

Bref, dans l’ensemble, le consommateur paie indirectement, par son temps, son attention voire sa réputation ». Les produits payants compensent les gratuits. L’exemple est le téléphone hyper technique haut de gamme, quasi gratuit, mais avec un abonnement de deux ans et des applications vers des sites insidieusement payants.

La gratuité rend-elle l’information légitime ?

« Quand une chose qui coûtait de l’argent (la presse écrite) cesse d’en coûter, on a tendance à dire que sa qualité baisse » (Chris Anderson, 2009). Quel comportement a-t-on quand on est confronté à une chose qui a toujours été gratuite ? Comme l’information numérique ? On ne veut pas la payer… Les éditeurs de presse numérique ont tendance à la laisser gratuite pour « vendre » les lecteurs aux annonceurs. Elle ne leur coûte pas cher à produire par rapport au papier. Et le fait que les lecteurs sont « profilés », ciblés par les annonceurs de manière fine, crée une relation étroite entre les trois partenaires : producteurs d’informations / internautes / annonceurs.

Éducation contre rapt d’attention

Le lecteur est souvent consentant : qu’importe un peu de publicité, si l’information est gratuite ? Mais on est « vendu » en « temps d’attention », en précieuse liste à profils pour les annonceurs. Le lecteur doit demeurer vigilant. La qualité de l’information pèche quand elle est diffusée par des producteurs dont ce n’est pas forcément le métier et l’Education aux médias devient alors nécessaire pour former le jeune internaute en un citoyen responsable.

Le temps disponible de cerveau ou de pensée, le temps d’attention dépensé deviennent des valeurs fortes, « monétisées ». L’attention est une nouvelle ressource. Le lecteur se doit de la raréfiée sur Internet pour ne pas être transformé en objet négociable.

Le web est-il payant pour la presse ?

Les revenus de la presse sont-ils suffisants sur le Net ? C’est dans les années 2000, que pour la presse l’Internet semble une chance de renouer « avec le public et la rentabilité ».

Attirer l’audience qui attire l’annonceur

Les éditeurs de presse, via leurs sites en ligne « se sont tout naturellement saisis de cette gratuité ». Ils offrent un contenu éditorial qui peut faire également basculer sur la version imprimée du journal. Le magnat australien Rupert Murdoch (groupe New Corporation) a misé sur la gratuité de l’information. Les sites du Times, et du Sunday Times sont aussi devenus gratuits. But : attirer une « audience » qui attire les « annonceurs ».

Mais le modèle de la gratuité sur Internet a tourné court. Sur le Net les rédactions ne doivent pas produire comme sur du papier, elles doivent s’adapter. Et la crise économique de 2009 a affaibli l’ensemble. Selon Philippe Escande (Les Echos), la publicité sur le Web serait de moins bonne qualité, selon l’avis des annonceurs, que sur une feuille imprimée. Ces annonceurs y seraient donc moins favorables.

Fin d’un mythe…

Selon l’auteur : « Le monde enchanté de la gratuité a pris l’eau ». Françoise Benhamou (professeure d’économie, spécialiste des industries culturelles) estime que la gratuite « ne marche pas ». Et puis est venu Edwy Plenel. Selon lui, la gratuité ne peut faire naître du « journalisme digital de qualité ». Rupert Murdoch s’en est aussi aperçu. Et quand il fait quelque chose, « le reste du monde des médias prend note ».

Passage au « paywall »

Ce sont les « murs payants ». C’est-à-dire ? Permettre à l’internaute de consulter, naviguer à son gré, mais « sur des articles […] en nombre limité ». Dès 2009, des journaux français (Le Figaro, Les Echos, Libération…) passent en économie « mixte » : accès libres et zones fermées. Allécher pour susciter l’abonnement. Parfois, on est invité à payer pour un seul article. Mais le freemium marcherait mieux : beaucoup d’articles basiques, et une offre d’articles approfondis sur abonnement. Mais à y bien regarder, quel modèle économique peut se prévaloir de fonctionner mieux que les autres ? Aucun ne semble faire « démonstration de pérennité ».

Alors certains éditeurs misent sur la tablette numérique. A l’étranger, les expériences payantes n’ont pas mieux marché que le papier ou le numérique. Par exemple, Le Huffington, exclusivement sur tablette, à 0, 99 dollars le numéro a été « boudé ». Rupert Murdoch a essayé avec un titre : 100 000 abonnés sur les 500 000 attendus. Pas suffisant. Et l’i-pad ? La presse américaine l’a essayé en été 2012. Ce n’est pas une réussite non plus.

Quoi dire sur la gratuité, pour terminer ?

Jamais il n’y a eu autant de lecteurs, autant de « consommateurs » d’informations d’une part, et d’autre part jamais les éditeurs ne se sont trouvés dans une telle panade pour les fidéliser. Les premiers journaux (de qualité) qui ont joué sur la gratuité ont certes fait de l’audience mais guère rémunératrice. Les annonceurs ne s’y retrouvent pas. La véritable inconnue, c’est demain. Et demain, qui seront les lecteurs ? Les digital natives. Seront-ils prêts à payer ? « Rien n’est moins sûr ». La solution n’a pas été trouvée actuellement et les prospectives ont du mal à augurer d’un lendemain gratuit ou semi-gratuit économiquement viable.