Le plan de l’article
L’écriture journalistique ne connaît qu’un seul plan. Il valorise l’information centrale. Ce n’est pas une dissertation : pas de thèse combattue par un antithèse puis de dépassement de la contradiction. Pas de présentation d’une situation avec ses causes et ses conséquences logiques. Le plan est de dire l’essentiel dans le système des titres et le premier paragraphe. Les faits exposés le sont selon une importance décroissante. Une fois les faits, tous les faits exposés, la pensée peut les analyser. Cela a pris la forme d’une « pyramide inversée » : un ensemble de faits transformés en un fait de nature à être pensé. Parfois, certains faits sont susceptibles d’être soumis à une progression chronologique. Mais cette progression dans le temps est d’une objectivité trompeuse. Certains journalistes optent pour une chronologie inversée afin de marquer l’esprit du lecteur. Egalement, un gadget de mise en page qui doit être utilisé très rarement : la forme alphabétique, avec lettrines, permettant différentes entrées (angles) dans un sujet. Mais le problème est qu’on y entre tout aussi facilement qu’on en sort. On trouve aussi de plus en plus la scénarisation : le journaliste produit un récit et le lecteur s’élance sur ses pas. Cela rappelle ce que faisait le journal l’Illustration (1843-1944), dans lequel le reporter disait « je » comme dans un carnet de bord. Selon l’auteur, les journaux qui pratiquent ce type de plan-récit sont victimes du reportage ou du documentaire de télévision.
La gamme des genres journalistiques
Opinion, critique, brève, filet : journalisme « assis »
L’article d’opinion. Ce sont l’éditorial, le billet d’humeur (réservés aux journalistes chevronnés d’une rédaction) et généralement ce qu’on appelle le « commentaire ». Le journaliste ne se contente pas d’exposer et de s’en rapporter à son lecteur, il donne son avis, de manière plus ou moins perceptible, en n’impliquant pas trop son lecteur, qui s’en agacerait. L’éditorial dévoile son signataire. Le journaliste ne met pas en œuvre des techniques d’écriture spécialisée mais entre un peu dans le domaine de la littérature. Le rythme des phrases, le vocabulaire sont soignés. Là, le plan est didactique pour que les arguments portent. L’éditorialiste peut disserter, lui, mais pas le jeune journaliste soumis à une relecture sévère.
La critique. Il ne s’agit pas de la critique universitaire qui relève d’une démarche scientifique (disséquer, créer des catégories, établir une théorie) mais de l’expression d’une subjectivité en face d’œuvres artistiques. Les artistes la redoutent et mettent les compétences artistiques du journaliste en doute. Mais la critique n’est pas sans contraintes. Elle ne peut pas faire autrement que de présenter l’œuvre elle-même (résumée souvent), de manière neutre, pour jeter une base. Le critique doit faire preuve d’érudition, connaître le domaine, les artistes, les œuvres majeures. Pourtant cette érudition doit être discrète, sinon elle ennuie le lecteur. Le critique doit être en contraste avec les autres journalistes dont la démarche doit être neutre et presque « froide ». Il doit faire preuve de chaleur humaine, s’engager.
Brève et filet
Une information brève (pas au-delà de 500 signes) lorsqu’elle est développée (1000 signes) devient un filet. Les théories de la lecture de la presse indiquent que l’œil est d’abord attiré par les brèves. La règle de base est que l’on s’en tient au factuel pur : le qui – quoi – où et quand. Lorsqu’apparaissent le comment et le pourquoi, on passe au filet. Les éditeurs, pensant que la brève est toujours lue, la placent à côté d’un article plus long, pour que l’œil passe de l’une à l’autre. Les titres sont elliptiques, parfois drôles.
Journalisme de terrain
Compte rendu, reportage, portrait, interview, enquête
La règle est de se déplacer, qu’on soit envoyé quelque part épisodiquement (envoyé spécial) ou de manière plus longue (correspondant). Etre sur le terrain, c’est faire du journalisme vivant : « Le reportage, c’est la vie. Le portrait, c’est l’épaisseur humaine. L’interview, c’est la riche sonorité d’une voix. L’enquête, c’est la clarté d’une démonstration. » Ces types d’articles permettent une variété de ton : il est accrocheur de rendre voisins une enquête aride et une interview très enlevée.
Le compte rendu
Il a l’apparence de l’objectivité. L’auteur, en effet, en est aussi « absent » que possible, reprenant des événements ou des propos, souvent de manière chronologique et synthétique. Ce type d’écrit plaît aux organisateurs de l’événement qui est couvert. Il n’est pas difficile à rédiger. Mais les journaux qui ont mené des enquêtes auprès de leurs lecteurs l’évitent car il est ennuyeux. La presse magazine grand public n’en comporte plus sauf compte rendu d’un événement qui était destiné à rester secret, non divulgué. Les organisateurs d’événements en demandent et redemandent, avec pour volonté affichée que le journaliste ne hiérarchise pas les « informations », mais les fassent défiler presque mécaniquement. Les journaux l’utilisent pour des allocutions de grands personnages, de cérémonies officielles (réceptions, intronisations). Le Monde l’a introduit sous la rubrique « Verbatim » (reproduction abondante de propos tenus).
Le reportage
Selon l’auteur, il s’agit d’un genre « mythique ». Le reporter est pensé comme une sorte de Tintin parti dénicher un lotus bleu ou des cigares pharaoniques. En fait, Tintin est un enquêteur, un détective. Il n’a rien du journaliste. Le reportage a un sujet précis et il doit donner à voir, à entendre, à sentir, à percevoir la vie. Le reporter investit un lieu, en disponibilité totale. Il se laisse conduire par ses impressions, rien ne doit lui échapper de ce qui l’entoure. La sensation dominante donne l’ « éclairage ». Il prend des notes ciblées en fonction de cet éclairage. Les ressorts du reportage sont théâtraux, cinématographiques : unité de temps et de lieu dans un long travelling en étapes. Si le travelling est long, les phrases doivent être courtes, les mots bien choisis, révélateurs du « réel », du « détail » parlant. Dans la profession, un débat s’est élevé pour savoir si les femmes, meilleures observatrices, ne sont pas plus douées pour les reportages. Les hommes ne seraient pas observateurs dans leur vie quotidienne, mais le seraient dans leur métier. Le reportage est de tous les genres journalistiques le plus subjectif et se rapproche de la littérature. Le grand reportage est une immersion encore plus profonde dans un pays, une région. Il présente des similitudes avec le scénario de télévision.
L’interview
Le but est de donner à « entendre » ce que quelqu’un a à dire sur un sujet en presse écrite. A la télévision, les plans statiques d’une personne devant un micro sont remplacés par la prise d’images d’un même personnage, à des endroits différents, censés renvoyer aux différentes idées abordées. Certaines interviews sont en mouvement : l’interviewé est au volant par exemple. En presse écrite, l’interview est plus facile à lire, car il y a alternance des paroles prononcées, marquées par des blancs, une police différente pour les questions. Pour être efficace, l’interview doit être préparée. Quand le journaliste se jette dans un sujet mal dominé, les questions n’apporteront pas d’information nouvelle, de « révélations ». Des choses ont déjà été publiées sur l’interviewé, il faut les connaître pour ne pas être redondant, ce dont l’interviewé peut se formaliser : « Cela, je l’ai déjà dit ! Votre question est hors de propos. » Il faut dépasser le déjà dit par le choix d’un angle nouveau. On est à l’intersection de la curiosité du journaliste et des ressources de l’interviewé.
Le journaliste, après s’être documenté, avoir dressé une liste de questions, doit tester son partenaire, le laisser s’exprimer mais en gardant la maîtrise de l’entretien. Il faut faire preuve de psychologie, décoder les intonations, les gestes accompagnant les mots. Les questions fermées permettent de reprendre la main dans un entretien qui part en tous sens. Le rebond sert à produire une information non prévue qui sinon se perd. Le journaliste paraît parfois se confier pour entraîner la confidence, mais on ne la fait que rarement aux personnages habitués à l’exercice. On entre alors dans les aléas du off (off the record). Jusqu’où se permettre de « révéler » ? La vie privée de l’interviewé est un terrain miné. Le procès en « diffamation » n’est pas loin car le off aura tôt fait d’être devenu un mensonge de la part du journaliste selon le plaignant. L’usage de l’interview à distance, par téléphone, se répand car le coût de l’information baisse si l’on se passe de déplacement. Mais dans certaines rédactions, on pense que rien ne vaut la rencontre, l’entrevue, le jeu des regards, où le journaliste sent que l’autre « ment ». Mieux vaut réserver l’interview téléphonique à des questions techniques.
La société des médias rend très fréquentes les entrevues de journalistes et de personnalités, si fréquentes que peut naître une familiarité, pouvant glisser dangereusement jusqu’à la connivence. Par ailleurs, la fréquence des interviews auprès de spécialistes, et toujours les mêmes, font de ces derniers de bons « clients » pour les journaux, mais aussi les médias audiovisuels.
L’écriture de l’interview pose le problème des guillemets. Certains journalistes produisent une texte complet, alternant questions et réponses, mais sans guillemets ouvrants puis fermants, laissant supposer que le texte complet est la restitution fidèle de ce qui s’est dit. Il n’en est rien. Des modifications ont eu lieu, des transformations légères de la question de départ ou l’insertion d’une question intermédiaire pour rendre un passage plus clair. En radio, sans qu’il y paraisse, une interview est lissée, « nettoyée » au montage : les redites, les phrases malheureuses, les bruits parasites sont supprimés. Radio et télévision veulent certes donner une illusion de réel mais des coupes sont nécessaires pour répondre à un minutage précis des émissions, des chroniques. La restitution complète, brute de l’interview serait agaçante pour le lecteur, auditeur ou spectateur.
Le portrait
Il emprunte à deux autres genres : le reportage ou l’enquête. Le reportage, c’est dresser le curriculum vitae d’une personne et sur son squelette mettre de la « chair », faire la liste des événements marquants, des « points de rupture » qui ont créé une personnalité, forgé un caractère. Par exemple, Le Canard enchaîné, dans ses « Prises de bec » part de l’ossature du curriculum et le nourrit des archives disponibles, surtout celles qu’il ne faut pas sortir. Le ton est dur, plutôt rosse que dur. Le portrait à tendance reportage recherche les anecdotes, les « images », les citations (paroles que le portraituré a dites mais souhaiterait n’avoir jamais dites, ou pleines de sagesse, ou drôles, tout dépend du journal et de sa ligne éditoriale). Le personnage s’humanise, prend de l’épaisseur en tout cas.
Le portrait enquête est plus froid à bien y regarder. On est proche de la biographie (avec des témoins « extérieurs » ou des proches qui défilent). Mais le journaliste doit fournir un papier court, il doit revenir au sensitif, créer un contexte. Le PDG sera amené à quitter son bureau et à subir un lieu qui lui est moins familier ; a contrario, la personne timide bénéficiera de son lieu familier. Le bon portraitiste aura une stratégie dans la prise de notes. Quand le portraituré dira des choses d’extrême importance, le portraitiste ne notera rien, pour que les confidences, les aveux naissent. Il écoutera, gardera cela en mémoire, puis dans les passages plus creux, il notera les choses importantes précédentes. La prise de notes chevronnée est l’exact inverse de la nature des propos recueillis : il faut faire semblant de ne rien noter fiévreusement sur son calepin. Quand le journaliste relira ses notes, une fois la rencontre passée, il pourra s’adonner au commentaire pour exprimer les impressions que lui a données le portraituré. Il se sera débarrassé des propos convenus, déjà lus ailleurs. Seront retenus, en revanche, le timbre de la voix, le ton de certains passages, les interjections, les formules familières ou particulières à la personne.
L’enquête
Elle « veut donner de l’entendement », elle montre et démontre. Elle est le genre le plus encyclopédique, le plus ambitieux. Le travail de base est la documentation, toujours nécessaire. On tire une liste d’informateurs capitaux et une problématique de cette première phase basique. On ne doit pas se contenter d’une documentation écrite (livres, articles déjà écrits) mais rechercher des informateurs, des témoins de première main : ils révèlent « les risques du terrain, les polémiques cachées, les compétences ou les incompétences des uns et des autres ».
Internet a changé la donne : les sources doivent être valides (des outils permettent de les identifier, comme www.alldomains.com). « Alldomains » indique qui a déposé un site, founit l’adresse URL, un numéro de téléphone. Les moteurs de recherche sont peu discriminants : ils repèrent de manière indifférenciée de doux illuminés ou des thésards de 3e cycle. Ne chercher que les sites de format PDF permet de faire un tri, comme le fait d’utiliser « Google Scholar » plutôt que Google seul. L’enquête est le genre journalistique qui interroge le plus la source. Elle opère par évaluation critique, que la source soit un écrit ou un témoin consulté : « Dans la position sociale qui est la sienne, que doit dire logiquement cet interlocuteur ? » ou « Avec qui est-il lié, de façon officielle, voire de façon plus discrète ? » On pratique la « vérification interne et externe ». L’interne : vérifier si les éléments donnés sont cohérents avec ceux déjà obtenus. L’externe : l’information obtenue paraît si capitale qu’il faut la recouper en utilisant des experts divers.
Le journaliste écrit l’enquête au rebours de ce qu’il a vécu et éprouvé. Il part de la conclusion qui, une fois reprise, permet des pauses pour éviter de se noyer dans la masse d’informations. La conclusion est reprise dans ses chiffres, ces citations ou extraits de documents. Le journaliste décline les arguments par ordre d’importance décroissant. Et ces arguments ne seront pas elliptiques : ils devront être décortiqués : l’on est dans une démonstration. Selon les éditeurs de presse, l’enquête est un genre long et ennuyeux et recommandent une facilitation de la lecture. Comment ? Par des pauses assorties d’anecdotes qui « aèrent ». Sur Internet on assiste à une atomisation des textes par un excès de pauses. Le contre-effet de telles pauses est de ne pas rendre le fil de l’enquête clair et compréhensible.
Dire avec des mots
La matière première des journalistes est la langue, même si l’image prend une place de plus en plus grande. Et la langue, ce sont les mots. Le journaliste doit employer un vocabulaire simple pour être compris du plus grand nombre. Les élèves de brevet professionnel auraient une capacité de seulement 800 mots. Le chômage serait cause, en partie, de la perte de la capacité de lecture. Une fraction de la population n’aurait à se confronter à la lecture que dans les activités professionnelles (« modes d’emploi, notes de service »). Il est donc douloureux pour des élèves au vocabulaire restreint et pour des adultes très peu lecteurs de lire et de comprendre des textes longs avec un vocabulaire non basique. Le journaliste n’existe que par rapport à son lectorat et doit se demander : « Me comprennent-ils ? » Selon l’auteur, en 1973, le magazine Le Point publie un sondage sur le vocabulaire économique qui offre des surprises :
pour 26 % des interrogés, « plein emploi » signifie : journée continue
pour 24 % la « croissance » est la hausse des prix
pour 23 % les « investissements privés » désignent les subventions accordées aux entreprises
pour 26 %, la « balance commerciale » est l’équilibre du budget etc.
Sans être dramatique, ce flottement dans le sens des mots ou des expressions économiques suppose que bon nombre de lecteurs mais aussi de spectateurs, confrontés à un sujet économique dans le journal télévisé, interprètent très mal ce qui est dit et ne comprennent pas le « message ».
Il en ressort que le journaliste doit se poser la question : « Pour être compris par ce public, quels mots dois-je employer ? » La fonction d’un article, d’un sujet de JT est de transformer et de vulgariser le vocabulaire, les savoirs des spécialistes rencontrés (économiste, astrophysiciens, professeur d’université etc.)
Le particulier contre le général
Les journalistes partent du terrain. Ils veulent convaincre lecteurs ou spectateurs que les sujets présentés ne sont pas hors du temps et de l’espace, hors de la vie. Aussi, dans les rédactions leur demande-t-on de « raconter une histoire » en faisant référence chez leur lecteur « à un capital de vocabulaire familier ».
Les mots et les phrases
Le journaliste doit être attentif à la construction de ses phrases, au choix des mots pour qu’il n’y ait aucun obstacle à la compréhension. La clé est la concision. Les phrases trop longues (au-delà de 13 à 15 mots), le vocabulaire difficile (mots de plus de 3 syllabes) supposent un effort de lecture qui devient épuisant et agaçant pour bon nombre de lecteurs. Phrases à rallonge et mots complexes sont à bannir du début de l’article. Le lecteur va fuir l’article en question pour sauter à un autre apparemment plus simple, associé à une image claire et bien légendée. Gunning et Flesch, deux Américains, ont inventé la « mesure de lisibilité ». Gunning a inventé le « fog index ». Il s’obtient en multipliant le nombre moyen de mots par phrase, additionné au pourcentage de mots de plus de 3 syllabes par 0,4. On obtient alors un nombre repère compris entre 5 et 20. La mauvaise lisibilité est sensible dès le degré 12. Les parenthèses, les incises, les citations longues sont des « parasites ».
Outils de l’écriture journalistique
Il existe deux types d’instruments : les genres et les outils. L’anecdote significative est un outil. Elle permet de raconter une histoire courte qui rend la lecture agréable et donne à comprendre « ce qui conceptualisé serait trop complexe ». La télévision quand elle n’obéit pas à l’actualité chaude ou à l’agenda (événements officiels annoncés à l’avance) raconte des anecdotes significatives qui donne l’impression de la « vraie vie ».
Les images et les exemples. Plutôt que de donner un chiffre à propos de la surface de la piste d’envol sur un porte-avion, on peut l’évaluer en plusieurs terrains de football. Un chiffre de production ou de consommation électrique peut être évalué en foyers ou ville. Une distance énorme sera comparée à la distance de la Terre à la Lune.
Les citations. Elles ont deux fonction sous la plume d’un journaliste : elles rendent une information vivante et l’accréditent comme preuve. On peut noter deux types de citation : le bon mot, la « formule heureuse », relevés dans une interview. Et la citation : il s’agit de propos publics retenus parce qu’un personnage les prononce en qualité de responsable (politique, économique, culturel). Sauf dans l’éditorial ou les genres fondés sur le « commentaire », le journaliste ne peut rendre compte de propos sans qu’ils soient ceux de quelqu’un. Le lecteur doit savoir qui parle, à quel titre et dans quelles circonstances. Si le journaliste prétend citer : « ‘La situation devrait s’améliorer dit-on au ministère’ », il n’explique rien et laisse le lecteur sur une impression de flou. Quand les citations sont trop nombreuses, systématiquement anonymes, le lecteur peut même avoir des doutes. Les reportages de magazines féminins abusent des pseudonymes : « Charlotte, 25 ans nous affirme… »… Autre outil, les formules toutes faites, les dictons. Bien placés, ils ont leur effet. Là encore, les jeunes journalistes sont invités à ne pas trop les utiliser.
L’habillage des articles
Le soin apporté à la maquette des journaux papier ou numériques, l’habillage des articles de ces publications font désormais l’objet d’une très grande attention de la part de journalistes ou techniciens spécialisés. En effet, le lecteur moyen est très sélectif. D’abord, il a ses rubriques préférées, ensuite son regard impitoyable suit une diagonale qui balaie la page du haut à gauche jusqu’au bas à droite, de titres en titres plus ou moins gros, de chapeaux (ou chapôs) en photos légendées. Assez souvent des lecteurs commencent par la fin (rubriques sportives par exemple). En quelques minutes, environ 80 % du journal est rejeté.
Les niveaux de lecture
Le titre
Le titre a deux fonctions souvent contradictoires : se signaler graphiquement et offrir du sens. L’œil est attiré par les gros caractères, ce qui explique les titres elliptiques créés pour être grossis plus facilement. Au point que certains mots, trop longs, ne peuvent entrer dans les titres. Jacques Mouriquand évoque le mot « aménagement » : cinq syllabes, deux M, caractères larges sur une ligne. Le titre, par ailleurs est un contrat tacite que le journaliste passe avec son lecteur. L’article doit contenir ce qu’annonce le titre. On parle de titres sous-vendeurs (le titre ne renvoie qu’à une partie de l’article) ou sur-vendeur (le titre trop aguicheur ne répond pas à l’attente suscitée). Le titre hiérarchise les informations et il est contre-productif de faire de gros titres avec des informations secondaires. Cela laisse au lecteur l’impression qu’on lui vend des broutilles. La typographie est au service du sens, et le gros titre doit être en haut de page. La généralisation des logiciels dans les rédactions amène parfois des excès de titrage. En Une le ou les gros titre(s) indique(nt) la ligne éditoriale du journal, ses « orientations ». Les titres peuvent être incitatifs, c’est-à-dire qu’ils reposent sur des jeux de mots, des finesses d’esprit ou simplement informatifs (Le Monde ou Le Figaro). L’incitatif est agréable mais, multiplié, il finit par lasser, sauf dans le cas du Canard enchaîné dont les lecteurs attendent jeux de mots et révélations.
Outre les degrés de titraille, les journaux ont des titres de pages indiquant un rubriquage, souvent associé à une couleur. On peut les comparer à des titres de chapitres. Dans la titraille, l’habitude de porter l’accent sur les chapeaux fait disparaître les sous-titres ; mais les surtitres tiennent bon. Les sous-titres sont remplacés par des chapeaux qui peuvent faire une à quatre lignes. Ces chapeaux sont souvent en caractères gras. Il était une règle : que le surtitre exprime une cause et que titre et sous-titre évoquent les conséquences. Ou que surtitre et sous-titre prennent en charge les éléments des 5 W (ou quintilien en français). Ce n’est plus une pratique courante.
Le titre, même et surtout s’il repose sur un jeu de mots, se doit d’être clair. Le lecteur rapide ne cherchera pas la solution à une devinette. L’ « effet d’intrigue » ou de questionnement du lecteur n’est pas efficace. Souci de clarté et polysémie ne font pas toujours bon ménage. Les raccourcis, indispensables, ne jouent pas toujours leur rôle et la conférence de rédaction de debriefing du lendemain doit le signaler (le courrier des lecteurs instantané sur Internet est significatif). Les titres interrogatifs sont faciles, d’autant plus faciles que le journaliste a du mal à trouver un titre.
On recherche les mots forts (idées clés) et la voix active. On constate que le verbe saute pour faire court et pour laisser place à un deux points [ : ] introductif ou indiquant une relation de cause à effet, de chronologie. Dans les écoles de journalisme une « boutade » consiste à dire que le titre adéquat est unique, unique à la situation, au fait qu’il couvre, qu’on ne peut pas le conceptualiser et le faire apprendre.
Le chapeau devient souvent une « accroche » ou texte minimal incitatif ou résumant très clairement les éléments du quintilien. Exemple (Les Inrockuptibles du 6 octobre 2010) : Après le titre incitatif « Que le meilleur perde », on trouve le chapeau suivant : « Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite. » Les faux chapeaux se répandent de plus en plus : il suffit de mettre en gras une ou deux phrases du texte. Les accroches de début d’article ont pour pendant les « chutes ». Ces dernières doivent donner au lecteur le sentiment que « la boucle est bouclée ». Pirouette de mots de mêmes sonorités (rimes intérieures) ou jeu de mots porteurs de sens. Le contrat lancé par le titre et le chapeau est alors honoré.
Les intertitres ont un statut particulier. Dans le cas de journaux tels que Le Monde, ils servent simplement à aérer un article long et ardu. Mais ailleurs, ils sont là pour mettre en relief une idée clé contenue, une citation dense dans le paragraphe ou les paragraphes qui suivent et inciter un lecteur qui saute de début de paragraphe en début de paragraphe à « entrer » dans la portion de texte envisagée. Les intertitres piègent pour obliger à la lecture. Le lecteur ira au moins grappiller quelques mots dans le ou les paragraphes.
La couleur est répandue maintenant, notamment pour les photos, mais aussi pour les caractères d’imprimerie. On peut avoir une lettrine colorée ou des éléments textuels importants.
Pour inciter à la lecture de fond les journaux emploient les degrés de titraille, la couleur, mais la longueur de l’article détermine la réaction du lecteur. Les articles de plus de 1800 signes entraînent une érosion de l’attention et les journaux luttent par l’éclatement du texte de l’article en différents modules, certains courts.
La photo et la légende
Au premier stade de la lecture, l’œil se porte simultanément sur la titre et la photo ressentie comme associée. Des photos bien cadrées, clairement légendées et le titre forment un ensemble structuré. Dans la PQR, les photos accompagnant les articles des localiers sont attendues. Les club sportifs, de belote, de poterie, les noces d’or des voisins plus ou moins proches et des amis, même s’ils donnent matière à de mauvaises photos, sans souci autre que la reconnaissance des personnes, font recette. Ce sont les réseaux sociaux peu technologiques des « seniors ».
La légende est là pour apporter un plus à la photo ou à l’illustration. Elle n’est pas redondante ou vide du point de vue du sens, du style « Au Châtelet, le public a applaudi chaleureusement la comédie musicale mise en scène par X ». Quelques journaux s’en tiennent strictement à la précision de la photo. Nom de la personne concernée, lieu et date. Certains journaux divisent la légende en deux volets de sens. Jacques Mouriquand cite Le Monde Magazine (9 octobre 2010, reportage sur Hong-Kong) : « ‘Séduction. Le Vieux quartier, préservé, abrite aujourd’hui les boutiques pour touristes’ » L’affectif d’abord (séduction) puis l’information (l’implantation des boutiques). Une bonne partie des magazines spécialisés (jardinage, maison, bricolage, mode) usent, en guise d’articles, de légendes allongées associées à des photos très nombreuses. On peut avoir en jardinage un « article » sur les vérandas à fleurir avec quatre ou cinq photos et des conseils pour obtenir un résultat semblable : quelques mots liés à des dessins marquant les étapes du travail.
Les grandes règles de l’écriture audiovisuelle
Jacques Mouriquand prévient son lecteur. Il aborde l’écriture audiovisuelle de manière très brève, dans ses rapports avec l’écriture de presse.
Ce qui caractérise la radio et la télévision est leur pouvoir référentiel : on entend, on voit ce qui semble être la vie elle-même, la « réalité ». Pourtant, des dizaines d’ouvrages expliquent qu’on a affaire à une écriture de scénarios. La réalité, la nature sont données à voir et à entendre sans l’obligation du commentaire, de l’exposition, de l’explicitation de l’écrit. Il est difficile de trouver à la télévision une ligne de démarcation entre ce qu’on appelle les « actualités » et le documentaire. Le documentaire essaye de surprendre le réel dans une écriture assez proche du film de fiction. Au point que les producteurs de documentaires peuvent bénéficier des « fonds du compte de soutien aux industries de programmes » et de festivals divers. Les journaux télévisés, les magazines, les reportages n’en bénéficient pas.
L’obstacle du matériel : micros, caméras
Les conditions matérielles de sa production déterminent un sujet radiophonique ou télévisuel. Le journaliste de radio aura son magnétophone et son micro, l’équipe de télévision des équipements assez lourds. Dans certaines scénarisations, l’ « informateur » joue son propre rôle. On lui demande de conduire, de parler à la caméra qui se trouve à côté ou derrière lui en passager, de mimer ses faits et gestes à son poste de travail, de téléphoner à un tiers. Durant une interview, s’il n’est pas assez clair on arrête et on recommence, au pire on coupera souvent au montage. Les personnalités ont l’habitude de l’intimité créée par les micros ou les caméras et font preuve d’ « exhibitionnisme ». En revanche, le quidam se sent mal à l’aise s’il s’agit de quelque chose de plus long que le banal micro-trottoir.
Comme le matériel se miniaturise et devient de plus en plus discret, il arrive que des personnalités se livrent, s’expriment de manière dense, oubliant le matériel qui les enregistre. Les conditions moyennes d’un reportage d’actualité permettent d’opérer en une demi-journée : contacts, enquête préalable, transport souvent compris. Seule la télévision de service public ou les chaînes privées nationales sont riches et peuvent se permettre des journées de prises de vues et de son avec une équipe. Les antennes publiques locales ou les petites chaînes privées locales (LCN pour Rouen par exemple) doivent compter sur des JRI (journalistes reporters d’images) qui de retour dans les locaux de la chaîne font eux-mêmes leur montage.
Le rôle des témoins
Radio et télévision empruntent les ressorts du théâtre. Les témoins qu’on invite à s’exprimer sont des « acteurs ». Les témoins sont recherchés soit pour leur « expérience ponctuelle » soit pour leur expertise. Les premiers donnent de la « chair », de l’épaisseur humaine, les autres permettent de prendre de la hauteur à partir des expériences. Il faut trouver le juste équilibre pour ne pas tomber dans l’anecdotique et le voyeurisme ou dans des généralités ennuyeuses. Les acteurs ponctuels sont repérés et testés par casting. Au moment de l’enquête préliminaire le réalisateur peut faire un enregistrement test qui juge du caractère convaincant de la personne : « le physique, la dégaine, la spontanéité l’emportent de loin sur la profondeur de la pensée ». La démarche semble logique puisque la télévision est « la petite cousine du cinéma ». Elle s’appuie sur la capacité des personnes à « porter un récit ». La matière audiovisuelle (radio comme télévision) relève du sensitif plus que du rationnel et produit des schémas narratifs.
Le découpage
Le récit télévisuel suit la logique interne d’un film : un personnage, un cadre, une action, avec un commentaire assurant le « liant ». La réussite du découpage est aussi importante que le plan de l’article de presse écrite. Il s’agit de mettre des « scènes » bout à bout en un récit qui fuit les « images prétextes » ou la radio filmée. Il faut donner l’illusion de la réalité et les dispositifs de fabrication pouvant causer une rupture de l’illusion sont effacés. Certaines « scènes » paraissent caricaturales, mais les professionnels estiment que c’est parce qu’elles « fonctionnent » bien. Ainsi, l’on voit : d’abord une mère de famille active, « surchargée de courses », puis, qui, chez elle, regarde le courrier, voit ses enfants devant la télévision et leur intime l’ordre d’aller faire les devoirs, qu’elle essaiera de vérifier tout en affirmant que son niveau scolaire propre la gêne dans cette évaluation, se lance dans la cuisine etc. Le lecteur d’un journal peut revenir en arrière s’il a un doute sur le sens de ce qu’il lit, alors que devant la télévision le spectateur est confronté à un flux qui doit être immédiatement compris.
Presse écrite, radio et télévision sont élaborées à partir d’une écriture technique qui peut sembler la même. Elles n’offrent pas le réel mais une illusion de réel travaillée de manière à rendre celui-ci explicite. Les journalistes visent la compréhension par leur public de faits rendus significatifs.