EXISTE-T-IL UNE ECRITURE JOURNALISTIQUE ?
Quel est le but de l’écriture journalistique ? C’est de véhiculer un message qui n’a de justification qu’auprès de son public. Cette écriture est au carrefour de la « lecture de plaisir » et de « l’information exacte ». Elle est efficace par son attractivité, et rentable au destinataire quand elle ne lui complique pas la lecture. Il y a une clientèle à satisfaire et les éditeurs de presse sont très attentifs aux désirs et aux réactions de leur « clientèle ».
L’enseignement des études de lecture
Le lecteur est dominé par la prolifération des écrans. 2010 : 2 milliards d’internautes, soit une progression de 448 % depuis l’an 2000. En 2007, les adolescents navigateurs de moins de 16 ans sont passés de 23 à 57 % selon une enquête de l’Espad. L’écran du Net ne dépasse pas l’écran télévisuel dans la population générale (sauf évolution technique avec des télévisions à écran internet dans le salon familial, à venir…) :16 heures de télévision contre 11 heures d’Internet en moyenne dans un échantillon spectatoriel moyen, non limité aux « ados ». Et encore la télévision est-elle victime de la zapette, prolongement de la main impatiente et boudeuse. Au moindre sentiment d’ennui, du moindre effort, c’est le changement de chaîne. Ce zapping déteint sur la presse écrite, la radio et de plus en plus sur l’édition et le livre. Les télévisions essaient de conserver leurs spectateurs par le système du site de rediffusion. Elles peuvent être rémunérées par une publicité supplémentaire sur le Net aussi. La lecture ni aucune forme d’écoute chez les ados et jeunes adultes ne sont concentrées sur leur sujet. C’est le cas de la radio qui était un beau meuble de salon dans les années 1930 et qui est devenue un « accessoire automobile ».
Distinguer les lectorats
On doit effectuer également un distinguo sexiste, social et non plus seulement d’âge : les cadres ont plus de temps pour se consacrer aux médias que les ouvriers, les hommes plus de temps que les femmes livrées aux soins du ménage, sauf changement lent des mentalités. Rares sont les Français qui lisent leur journal au petit-déjeuner (18%), donc dans une attitude inconfortable impropre à une totale concentration. Le Times britannique a changé de format pour satisfaire son lectorat et en France Le Parisien aussi ; Lire et des magazines féminins réduisent leur format et s’épaississent afin de se donner à lire comme des sortes de « livres » dans lesquels entrer plusieurs fois dans la journée ou sur quelques jours. Offrir une écriture non jetable sur l’instant. La presse magazine française essaie de copier le concept de « grille de programmes » de l’audiovisuel pour obtenir une grille de lecture : d’où pour les hebdomadaires et les mensuels « l’art de faire se succéder des articles très courts, voire des ‘brèves’ avec des modules un peu plus longs puis de véritables dossiers savamment éclatés ». C’est un prétexte à des entrées multiples. C’est ce qu’en marketing on appelle la « prise en main » : le lecteur n’a pas toujours les mêmes dispositions d’esprit pour lire son journal. Le feuilletage, la lecture distraite, l’accroche de l’œil et de l’esprit ont été analysés savamment et mis en œuvre pour garder le lecteur plus longtemps.
Les mimétismes
Au-delà du mimétisme entre langage de l’image et langage écrit, on note des mimétismes d’écriture. La presse magazine a parfaitement réussi à modifier la presse quotidienne. Le magazine a toujours été ressenti comme plus élégant, supporté par un meilleur papier, alors que le quotidien est éphémère et sert à emballer la salade au marché… C’est le quotidien Libération qui a pris l’habitude des Unes du type magazine avec une énorme photo, pleine page, avec des titres multiples. Dans l’édition, chez Gallimard, la collection « Découvertes » s’est beaucoup inspirée de l’illustration abondante du magazine. Même la publicité en raison de ses formats et de ses écritures très plastiques et modernes a déteint sur les journaux et les magazines ont des Unes qui vendent quasiment de l’information, même si cette dernière est sérieuse.
La rentabilité
Le papier coûte cher, les lecteurs n’aiment pas les articles fleuves et les patrons de presse avec leur spécialistes marketing donnent dans le « clair et net ». En effet : « De toutes les écritures, celle du journal est la plus à l’emporte-pièce ». L’information, l’information ! Le commentaire serait « un charmant superflu ». De grands titres de presse se sont mis en danger quand ils étaient trop éditorialisés, c’est-à-dire qu’ils faisaient suivre au lecteur une ligne de pensée et non de l’information pure bien étayée. Aujourd’hui, la plus-value recherchée est la densification de l’information. C’est une influence de la radio sur la presse écrite (papier ou numérique). Quant au succès de France Info, il a agi sur les chaînes d’information qui se sont consacrées au « continu » : Euronews, LCI, BFM Télé, I Télé. Tous les sauvetages de médias ont pu avoir lieu grâce à la recherche d’information, au service du factuel et à leur mise en scène pour une meilleure assimilation. Les journaux se sont dirigés vers la multiplicité d’articles donnant le sentiment d’une réception d’informations variées. L’écriture a évolué vers l’éclatement en modules courts. La méthode allemande a joué sur Le Parisien, Prima, Capital, Voici, Gala (dont certains font partie de groupes de presse allemands).
L’info doit être facile...
L’écriture « marketing » est la solution : capacité à se faire comprendre d’un public très large. La télévision s’est inspirée de ces modèles de presse avec la formule : « Il faut le planter [le spectateur] dès le premier instant dans son fauteuil et réussir la fin pour qu’il conserve un bon souvenir » L’« attaque » et la « chute » écrites se retrouvent dans les sujets des journaux télévisés. Egalement dans le « direct » (ou « programme de flux »), c’est-à-dire le canevas qui donne l’illusion de la participation du spectateur. Là, la fonction du journaliste se trouve comme effacée car il est difficile d’apporter une réflexion sur un événement en train de se dérouler. Il s’agit d’un accompagnement. Les journalistes « à l’antenne » le redoutent. Il existe un « programme de stock », le documentaire, qui demande une élaboration avant, pendant, après tournage. L’écriture en est complexe : thème, repérages, tournage, commentaire, montage.
Le mélange des écritures
On constate une porosité de l’audiovisuel vers la presse écrite dans un effet unificateur. C’est là l’origine du sentiment de conformisme que peut ressentir le lecteur, une sorte de d’écriture unique (comme il est une pensée dite unique) qui égalise tout. L’uniformisation est concomitante avec l’éclatement diversificateur. Or c’est surtout le fond que recherche le destinataire de l’information.
L’expression par l’image
Presse et télévision, désormais, s’influencent mutuellement. Ce qui peut intéresser le destinataire exigeant est la complémentarité entre image et écrit « dans les récits ». La nouvelle construction du message, pour ne pas être ennuyeuse, minimise la part des textes au profit des photos qui « disent » elles aussi. La photo, dans certaines publications, semble centrale et satellise des textes qui lui viennent en soutien. Les directeurs artistiques, les maquettistes ont maintenant autant si ce n’est plus leur mot à dire que les éditorialistes, les grands reporters. L’esthétique paraît l’emporter sur le réel. C’est de la fabrication subtile autour du « visuel ». A l’intérieur même des articles, la / les photo(s) « dépeintes » et la scénarisation d’un récit sont courants : on y trouve l’opposition de deux personnes comme dans les débats télévisés. Les hommes politiques se plaignent souvent d’être présentés comme des opposants à tel ou tel, dans une joute d’idées, plus que dans l’analyse. C’est une théâtralisation des personnes ou de leurs propos, même si les personnes en question donnent aussi dans le coup de griffe à l’autre de temps en temps.
La généralisation de certains logiciels (QuarkXpress, Photoshop entre autres) banalisent une certaine esthétique de la presse par une unité de graphisme et d’iconicité. L’utilisation de l’infographie (dessin assisté par ordinateur souvent appliqué aux techniques ou aux calculs véhiculés par l’information) associée à des mots clés résume un événement, une réalité constatée mieux que de longues phrases. C’est une condensation des idées par des schémas.
L’effet internet
L’apport d’Internet est important. Il fournit du « journalisme de données » comme le fait de visualiser une carte de tous les états, un jour d’élections présidentielles américaines, à la minute près. Les résultats se déroulent en continu, des photo des représentants de l’état avec leur curriculum vitae s’ouvrent. La presse écrite a repris les onglets, les cases, les tableaux et bien d’autres repères visuels simplificateurs de l’internet.
Le multimédia est décisif sur l’évolution de l’écriture informative. Texte, image et son fusionnent. Réaction des journalistes : volonté de bien scinder l’écriture en catégories étanches, le journalisme devant s’éloigner de l’écriture littéraire. Le propos de l’écrit journalistique est de servir le « réel », de cerner au mieux la « réalité » prise en compte. Le journaliste doit s’abstraire de ce dont il rend compte, au contraire de l’éditorial et du commentaire, où la première personne du singulier est souvent « licite ». Dans certains journaux, la rédaction accepte des innovations littéraires, sur le terrain du reportage, sous forme de « carnet de route ». La belle revue « XXI » (vendu en librairie le plus souvent), par son journalisme au long cours, se rapproche de la littérarité bien que l’on reste dans l’information, à la base.
Plus ça change, plus c’est la même chose
Si l’on observe l’écriture journalistique sur une longue période, on s’aperçoit que cela n’a pas beaucoup changé : « les ressorts de la construction des récits ne bougent guère ».
Le gratuit ?
L’apparition de quotidiens gratuits est ce qui est le plus visible sur le long terme. En 2009, on a pu compter en gros 8 millions de lecteurs pour les titres principaux. D’où sont-ils sortis ces journaux ? De l’influence de la télévision. Et de l’Internet qui a démultiplié le désir de la gratuité chez l’internaute qui peut être un ancien « client » qui ne veut plus payer… La décision de rendre ou de laisser l’information payante a partout été difficile. En effet, l’idée que l’information a une valeur monnayable paraît bizarre aux natifs digitaux. L’origine de cette situation est bien la télévision, le média dominant. Il est étonnant que des intellectuels, des penseurs, des éditorialistes ne se soient pas emparés de cette idée pour la mettre socialement en débat. Pourquoi ne pas souligner l’effort que représente la recherche et la construction d’une bonne information ? L’idée ne risque-t-elle pas de se répandre que l’intelligence, la pertinence, le savoir n’ont pas de valeur et que tout vaut tout, dans un écrasement des valeurs réelles ?
Tout ça pour 20 minutes
Les gratuits ont été offensifs : ils ont usé d’une information minimale en modules aisément consommables et ont placé des distributeurs à casquettes près des bouches de métro, au contact du lectorat. Le kiosquier regarde cela avec étonnement et peut-être désespoir. Métro pour le journal des rames et des quais, 20 Minutes pour le journal qu’on parcourt en vingt minutes et que l’on laisse sur un siège du métro… Vingt minutes étant le temps que prend un lecteur lambda pour parcourir un journal payant.
UNE ECRITURE TRES CADREE
Chercher la cible
Le contenu rédactionnel du journal est maintenant très discuté, il fait l’objet de « formules », de « chartes », de « règlements intérieurs » sur le visuel à la fois graphique et iconique. L’organisation et la décision en amont de l’écriture elle-même est une obligation pour prévenir le rejet pur et simple de l’écrit par les lecteurs. L’ennemi n’est plus le concurrent mais la non-lecture, le refus de lire. Pour l’éditeur, le danger est le rythme de lecture de son journal. Ce qui est évident est que le journal doit se découper « en séquences de rythmes différents ». De toute façon, un journal n’est jamais écrit pour une lecture intégrale (20 minutes pour un lecteur moyen) mais « pour attirer le chaland » sur des segments différents. La variété doit être bien travaillée : un parallélisme avec les grilles télévisuelles, ménageant des « sautes de tension » au lecteur fatigable. Jacques Mouriquand fournit un exemple précis :
Des photos, des photos...
VSD, fin 2010 : « une Une avec maxi photo et quelques mots, une ouverture sur une succession de doubles pages photos avec très peu de texte ; quatre pages de brèves très illustrées, et une double page photo inaugurant un premier article un peu développé. C’est proposer au lecteur un parcours visuel agréable avant de le faire entrer dans un texte lié à une ou des photos qui l’inspirent. Le maître-mot à l’intérieur du journal comme à l’intérieur de l’article c’est le « rebond » pour des « chemins de traverse », ce qui correspond au « lien » sur l’Internet. » Beaucoup d’images donc.
Un nombre croissant de magazines ont un grand recours à la photo, avec un titre « accroche » en gros caractères (équivalent de la légende en petits caractères, disparues dans certains cas). Le lecteur survole, cherche une atmosphère. L’éditeur intègre le fait que le lecteur est en état de fatigue, de manque de temps, de mauvaise posture physique (rame de métro ou bus qui bringueballe) et que l’article n’est pas du graphique lisible du début à la fin, que l’icône apporte son potentiel informatif. Les annonceurs publicitaires exercent une pression sur les éditeurs de presse pour créer des « prises en mains » nombreuses. Un magazine ne doit pas se jeter comme 20 Minutes. En 2003, les magazines étaient « repris en mains » en moyenne de 4,5 fois à 8,5 fois pour les hebdomadaires de télévision à usage familial et seulement 2,4 fois pour les autres types de magazines.
La photo, maîtresse du jeu
Longtemps les rédactions ont pensé que la photo était une illustration de l’écrit (d’ailleurs le journal du même nom, L’Illustration, a vécu de 1843 à 1944 sous cette formule). Le photographe était considéré comme un artiste qui apportait du joli au journal. Dans L’Illustration, le problème était que les photos ne proposaient que des « visites princières ou de nouveaux cuirassiers » et en décalage avec la pagination de l’article équivalent. On plaçait des photos, s’il y avait de l’espace vis-à-vis de l’écrit, sacrosaint, tenu par des « plumes ». En 1970 les appareils photos étaient certes légers mais le temps et les techniques de développement couleur étaient longs, de mauvaise résolution, d’où la préférence pour le noir et blanc. Avec le numérique, les obstacles ont disparu et le rendu est si bon que la photo devient prégnante par rapport au texte. L’évolution des téléphones photographiques fait que des amateurs peuvent se trouver en possession de photos d’événements d’importance, négociées très cher. La télévision peut recourir à la petite caméra DV et le réalisateur peut jouer de l’image floue et tremblée pour donner un petit air plus vrai que vrai pour illustrer un sujet. La transmission satellitaire de n’importe où à n’importe où sur le globe fait que c’est le rédacteur qui est à la remorque de l’image et plus le contraire.
Des gens accros aux gens
Le photographe suit des personnalités partout où elles se rendent et les surprend vraiment. C’est l’image de la vie, de la vie brute. La facilité pour les équipes de télévision de s’immiscer dans l’intimité des gens pousse à rendre compte de difficultés sociales, de problèmes de personnalité, de sexualité sans que les "sujets » de ces reportages ne se rendent vraiment compte de leur transformation en "objet" de curiosité. Les rédacteurs en chef de journaux ont tendance à copier ce style de reportage avec des gens à problèmes et en « immersion ». La photo est abondante pour illustrer la détresse.
Les logiciels de mise en page créent des blocs photos infos et photo publicitaires inaliénables et le texte doit se couler dans les espaces laissés libres. De plus, le croisement de l’informatique avec les techniques de photographie peut modifier les clichés : amélioration des contrastes, certes, mais également recadrage affectant le sens de la photo de départ.
Certains magazines féminins peuvent publier une dizaine de photos par pages, mais de petit format peu « lisible », où les détails sont perdus. Ce n’est « qu’une sorte de bouquet coloré ». On n’est plus dans la lecture mais dans le feuilletage. Le regard ne lit plus ni image ni mots. Les magazines de programmes télévisés centrent leurs Unes et leurs pages par des photos de vedettes à leur avantage avec des textes étiques et hagiographiques.
Infographie en hausse
La place prise par l’infographie devient importante. Les journaux, se sentant obligés de copier la « scientificité » de certaines publications, usaient des fromages, courbes, histogrammes pour illustrer des chiffres. L’ordinateur devenant performant et inventif a amélioré les tracés : « on a remplacé des colonnes de hauteur variable pour dire, par exemple, un nombre de vente de voitures par des voitures de grosseur plus importante. Des petits personnages qui montent ou descendent sur des courbes sont apparus ». C’est au point qu’il existe des rédacteurs spécialisés dans la recherche de chiffres, de transformation de l’information en chiffres afin que cela soit traitable par infographie ensuite.
Le retour du dessin
Le dessin de presse, depuis Daumier, a évolué, en passant par le Plantu du Monde et le Faizant du Figaro. Dans la publication ce type de dessin était un peu à part « comme un petit carré réservé à l’impertinence ou a des portraits joliment enlevés ». Chapatte (Le Temps, Genève) propose parfois de véritables reportages dessinés (exemple sur Gaza). Libération, la revue « XXI » donnent parfois dans le reportage entièrement photographique. Le « discours » journalistique se déploie par des moyens expressifs divers, à coordonner, pour créer du sens, un sens nouveau.
Existe-t-il une écriture pour Internet ?
L’effet de nouveauté a fait penser que l’écriture y était différente, spécifique : « C’est faux, c’est même l’exact contraire qui est vrai ». La lecture sur écran crée des contraintes : du fait du « scintillement », de la « difficulté de lecture estimée à un quart de plus que sur le support papier », du fait d’un « nombre de lignes limité avant déplacement du curseur ». Aussi voit-on le retour d’une écriture du « type agence de presse » avec des phrases courtes, « des possibilités de renvoi par des liens à d’autres temps du récit ». En fait, les thèmes centraux sont pris sous des angles différents, donnent une apparence de riche variété, mais tournent en rond. L’introduction des vidéos, de l’image mobile, ne s’éloigne pas tellement de l’image fixe de la presse, car les extraits mobiles sont redondants et parfois gadget. Les concepteurs et les rédacteurs qui leur sont subordonnés techniquement poussent un peu plus avant des recettes de presse classiques.
Jouer collectif
L’information se décline « en plusieurs expressions ». Une scénarisation est envisagée « dès les prémices » des reportages ou enquêtes. Le journaliste va chercher des informations déjà écrites, des photos, des chiffres. Mais la prégnance des maquettistes est là qui s’impose : il faut organiser des « séances de prise de vues sans lesquelles les écrits ne seront pas publiés ». La « plume » ne doit pas se formaliser de se déprendre des formes d’écriture. Chef de service, directeurs artistiques, secrétaires de rédaction, photo reporters, infographes aident le journaliste à écrire. Et cette collectivité améliorera le rendu de l’information pour le bien du journal.
On demandera par exemple de privilégier l’interview, car c’est du texte forcément découpé en mini blocs questions-réponses de polices différentes, reposants pour l’œil et « vivants ». Le chef de rédaction l’associera à un article plus classique mais guère long, intertitré, et illustré avec une légende explicative elle-même. C’est mieux que deux articles qui se suivent lourdement dans la page. On note un « intérêt objectif des informations » et du visuel.
Fabrication intriquée dans l’écriture
Découper, « atomiser » dans un esprit « fabriquant » ou de contenant donc. Désormais plus de colère de la grande « plume » contre le secrétaire correcteur et qui réécrit des phrases trop longues, trop stylées ; plus de guerre entre la « plume » et le photographe. Tous collaborent avec un appareil organisateur : le logiciel numérique à charte exclusivement pour le journal, sa touche originale. Tout doit se couler dans le moule : « tous pour un ». Le numérique permet aussi des modifications de dernières minutes « les imprimantes permettant de sortir en quelques secondes ce que sera la page finale ». M. Mourquand estime que l’emprise du contenant sur le contenu, le système de la « formule » (charte) est une forme de « perversion » de la conception. Tout n’est pas que « graphisme » mais peut être « écriture » et les lecteurs aiment trouver de la substance.
Parenté avec l’audiovisuel
L’écriture de presse ressemble à celle de l’audiovisuel. Journaliste, réalisateur, chargé d’édition d’un reportage ou documentaire ont créé un préalable : on part sur le terrain avec une idée déjà en tête. On va y chercher des choses trop précises pour être « réelles ». Le reporter de presse parcourt le terrain également de cette manière. Le scénario est trop écrit, sans compter au final la recréation au montage.
Poids de la communication
Le rédactionnel est soumis à la communication. Qui exerce la pression ? Attachés de presse, de relations publiques, directeurs de communication. On trouve alors des écrits « encouragés » avec des angles prédéfinis. Quelles sont les clés qui permettent de déceler cela ? L’argent. La publication coûte de plus en plus cher, le public demande du « gratuit », alors des journalistes acceptent des voyages de presse pour la présentation de « produit », le produit n’étant pas un yaourt ou une voiture, mais une façon de penser, d’envisager les activités diverses, les habitats, les civilisations de groupes humains. Des documentaires peuvent être financés en grande partie par des régions, des pays réclamant qu’on les fasse connaître. C’est subtil, c’est anthropologique, réflexif, intelligent. Ca ne se voit pas. Ca ne coûte presque rien mais cela remplit des heures d’antenne et des pages. Des secteurs entiers de l’actualité ne font pas l’objet d’une « information équitable » au profit « du tourisme, du cinéma, du show-business et dans une certaine mesure (décroissante) de l’automobile ».
Quand un journaliste, honnête, est assailli par des sollicitations d’attachés de presse, sa tranquillité d’esprit, son travail réflexif est atteint, troublé, cela « ne peut pas être sans effet sur son activité ». Aucun organisme indépendant ne fait la part exacte de l’information « inspirée » de celle qui émane naturellement du média
Des pratiques déloyales
Des menaces s’exercent sur les médias par le chantage de la publicité. Qui marchande ? Le cosmétique, la voiture, la grande distribution. Le cinéma, la chanson : certains journalistes sont obligés d’interviewer en cinq minutes les stars internationales en visite de promotion. C’est un abaissement de l’analyse et de la critique cinématographique ou musicale. Mais « les métiers de l’information ont le mérite par rapport à beaucoup d’autres […] de rendre finalement publiques leurs propres turpitudes ». Gare aux journaux satiriques qui dénoncent en s’amusant.
CONSTRUIRE
Comment construire un article, un documentaire, une émission de radio ? En déterminant l’information principale qui est ensuite développée. Elle doit être dégagée et claire dès le début pour le destinataire. Il ne faut pas entrer dans une introduction ou une présentation en donnant ses intentions, en précisant la démarche qui va suivre… l’on va droit à la cible : le thème qui est à affirmer, démontrer. C’est une entrée en matière « brutale ».
La détermination de l’information répond au questionnaire basique : Qui fait / subit Quoi, Quand, Où, Pourquoi ?, Comment ? Le bon article répond tout de suite à ces questions car le lecteur attend un début de récit circonstancié. Cela peut rappeler le début d’un roman policier : « C’est un idéal à atteindre. Le texte qui répond à trop peu de ces questions va laisser au lecteur un sentiment de malaise, parfois faire douter de la loyauté de l’auteur ». Les réponses basiques fournies doivent être hiérarchisées et rejeter les éléments périphériques qui troublent la saisie du fait. Même un article documentaire rend compte d’un seul thème prégnant, les éléments annexes peuvent être convoqués ensuite si cela apporte du sens.
Les circonstances mènent au principal
Contrairement aux textes scientifiques qui ergotent sur leur champ d’étude possible, sur leur objet d’étude possible, le texte journalistique établit rapidement son champ d’action et se lance dans la démonstration et l’explication. On reproche à l’écrit journalistique d’aller trop vite et de trop subjectivement choisir la direction de son argumentation : « […] plus aucun débat à ce sujet dans la profession. Chaque journaliste sait bien que c’est sa perception personnelle des facteurs (qui quoi où…) qui conduira sa plume ». La responsabilité du journaliste est alors en gagée.
Angles...
Une fois donné l’ensemble circonstanciel, vient le choix de l’ « éclairage » [M. Mourquand utilise « éclairage » pour ce qui est appelé communément « angle »]. L’angle est souvent adapté au support sur lequel travaille le journaliste, c’est-à-dire la ligne éditoriale. Certains supports sont considérés comme « progressistes » (Libération, L’Humanité) d’autre « conservateurs » (Le Figaro). Le journal progressiste insiste sur les aspects humains, un journal conservateur se focalise sur des angles « économiques et gestionnaires ». Les angles ne se distinguent pas sur la délivrance de l’information mais sur son traitement. La recherche de l’angle est importante, c’est un travail en soi-même : tout a déjà été dit sur tout, c’est le dire de manière inédite qui est à trouver.
Sur votre paillasson !
Le journaliste doit se débrouiller pour rendre le fait qu’il traite « proche » de son lecteur. Il doit le toucher dans son intellect et sa sensibilité. Libération avait intitulé longtemps l’une se ses rubriques « Parlez-moi de moi ». L’agence suisse InfoSud a défini de manière humoristique les éléments incontournables de l’article bien troussé : 1) C’est nouveau ! 2) C’est actuel ! 3) C’est proche, ça pourrait être sur votre paillasson… 4) Que des vedettes et des personnalités… 5) Etonnant, insolite ! 6) Interdiction de parler des trains qui partent et arrivent à l’heure.
La PQR, presse régionale quotidienne, est suivie [notre Paris Normandie, même s’il a des difficultés financières est une référence culturelle pour beaucoup de Normands qui s’en désolent], car elle parle de la ville où le lecteur habite, mais aussi parce qu’elle s’adresse intimement à lui : que faire pour votre mal de dos ? pour bien placer votre argent ? Quel dessert faire dimanche ? De plus, il faut être mieux que présent, il faut prédire le lendemain : météo, système circulatoire de la ville, horoscope. La presse concernant un secteur professionnel – même si elle n’est pas excellente selon M. Mourquand (partialité) – est achetée très régulièrement ou sur abonnement parce qu’elle touche le lecteur qui est tout à fait conscient de la ligne éditoriale.
Trop d’angles tue l’angle
Selon l’auteur, certains titres de presse ont tendance à l’empilement des angles avec des articles conçus comme pour des exposés oraux, essayant d’embrasser plusieurs problématiques, traitées successivement. Exemple, La Tribune de Génève (octobre 2010) qui propose de traiter la puissance de la Chine selon six questions. La clarté se brouille, le lecteur commence à décrocher… Autre exemple : poser de fausses questions (qui n’ont pas une grande urgence) que le journaliste a dressées en fonction de réponses prêtes, dès avant la recherche d’un cheminement.
Le risque du thème ?
Le laisser « venir » et se laisser « guider » par lui. Avoir en tête un problème aux réalités vastes sans avoir élagué et réfléchi à un angle. Exemple : La place de la femme dans la société moderne ? C’est un sujet de thèse. Impossible à traiter sans des généralités. Le lecteur veut sans doute qu’on parle de sa femme. Resserrer, choisir un angle limité : qui fait les travaux ménagers dans le couple ? Qui tient les cordons de la bourse dans le ménage ? Qui connaît le mieux ses enfants dans le couple ? On a lu et relu cela, mais si c’est bien écrit, ça passe…
L’article sur Internet ?
A la base, rien de neuf sous le soleil, selon l’auteur, mais… Si rien n’est inventé, tout est éclaté. La faible quantité de textes et d’images restituables par un écran amènent à une écriture tronçonnée, jouant des angles multiples, qui, dans un article classique, aboutissent à la confusion. C’est une technique de l’amorce et du rejet. Un début de phrase titre terminé par trois points, une image et un renvoi sur une autre « page » : c’est le lien. Les Unes papier ou numériques pratiquent cela aussi, mais seulement les Unes. Cependant, on peut être dans un article et, du fait d’une publicité volontairement parasite, cliquer pour se trouver sur la même page mais à un autre endroit : c’est l’ancre ou l’ancrage. Le rédacteur sait qu’il doit remplir des modules, des rectangles limités et qu’il doit jouer de l’écrit successif, des mini encadrés, des schémas évitant une démonstration logique. De plus les images associées ont des tailles variables, sont fixes ou mobiles. La scénarisation de l’information est contraignante pour le journaliste nostalgique.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE