Grünwald ou l’hominisation de l’individu
Selon l’auteur, c’est depuis le « symposium de Grünwald, en Allemagne, il y a plus de vingt-cinq ans » que l’éducation aux médias est devenue « un véritable sujet d’intérêt ». Au niveau international, il est apparu nécessaire de comparer des expériences et de « partager des interrogations ». De quoi le symposium traitait-il ? De « pratiques qui se veulent éducatives, non seulement dans le processus d’hominisation et d’émancipation des individus, mais également dans le contexte de leur vivre-ensemble et dans la continuité historique de la communauté ».
Quelles sont les « représentations » en conflit lorsque l’éducation aux médias devient « objet de débat » ? Il s’agit du « pourquoi » et de la « cohérence » de la pratique. La réflexion ne doit pas se limiter à une « omniprésence des médias » d’un côté, et à la « formation de l’esprit critique » de l’autre. L’éducation aux médias peut se prévaloir d’une « exigence » de recul et réflexion dans la société de l’information et de la communication.
LE CONCEPT D’EDUCATION AUX MEDIAS EST AMBIGU
Les fausses évidences
Il se réfère à des approches « contradictoires », tenant les médias comme phénomène positif ou phénomène de tous les dangers. Le développement continu des médias en tant qu’ « objets d’éducation » fait de l’approche et de la pratique des éléments eux-mêmes en évolution. Il faut une « aire de pertinence » et définir des limites assurant une « validité » de la pensée. La « science » a son mot à dire, elle pourra apporter des « méthodes dans la structuration et la construction des connaissances » chassant les « fausses évidences ».
Dépasser le binaire
Au niveau de la recherche, tout le monde s’accorde à dire que l’éducation aux médias n’est pas une discipline en soi. Il s’agit plutôt d’un « champ qui se nourrit et s’éclaire à la source de plusieurs disciplines, comme la communication, l’information, l’éducation, la sociologie, la sémiologie etc. » Mais lorsque l’éducation aux médias « rentre en contact avec l’école », elle devient un « objet constitué et identifiable » susceptible de venir « influencer un contexte éducatif déjà en place. » La place des médias dans la société n’est pas sans incidence sur la vie des « jeunes ». On se doit de passer d’un jugement binaire médias bons / mauvais à une « communication-processus ».
Du développement des médias et de la question de leurs effets sur l’éducation aux médias
La situation…
Selon Jacques Gonnet [directeur de recherche au CREDAM, Centre de recherches et d’études sur l’éducation à l’actualité et aux médias, professeur honoraire à Paris 3, Sorbonne nouvelle. Il a participé à la création du CLEMI] l’éducation aux médias doit s’intéresser à l’ensemble des moyens modernes de « médiation technologique et sociale », donc à la presse, à la radio, au cinéma, à la télévision, à l’Internet. Il estime devoir dépasser le jugement binaire : 1) Les médias sont bons car ils constituent un « puissant moyen de développement et de rapprochement » 2) Les médias sont mauvais par définition parce qu’ils sont des « moyens de manipulation au service des groupes d’intérêt financiers et politiques ».
Repères « (pré)historiques »…
Depuis – 40 000 ans
Selon les chercheurs sur le paléolithique, le « sapiens sapiens » a inventé sur le long terme des « significations qui vont améliorer peu à peu la vie communautaire ». Les « systèmes artificiels à mémoire » ont consisté à partir de – 40 000 ans en « supports décorés ». Dans cette logique, dans celle de la « théorie des transitions » – les hommes progressent d’étape en étape – l’hominidé supérieur est arrivé à la culture et à l’information. Il a développé une culture susceptible de « stocker, de transmettre ou d’échanger des informations ». Le concept de communication pourrait résumer la « dynamique humaine » depuis la préhistoire.
Des légendes à l’écrit sumérien
L’échange ne se fait pas lourdement comme un échange « mécanique » mais dans une « sorte d’empathie, de contagion émotionnelle » : « une attitude, un geste, une mimique ». La capacité de communication s’est complexifiée avec des « mythes », des « légendes », des « systèmes explicatifs, logiques et moraux et des règles de comportement » et la « civilité ». La découverte de l’écriture (Sumer, - 3000) a changé les « esprits », les « processus physiques et psychiques. Puis, à la fin du XIXe siècle et à la fin du XXe « nous sommes entrés dans l’âge des communications de masse. Cette « période » se poursuit et « se superpose avec l’âge de l’informatique et du numérique ». Cette évolution historique est à placer à l’intersection de trois situations :
1) la volonté de communiquer,
2) les moyens techniques de la communication
3) le contexte dans lequel cela s’insère.
Les médias modernes
Faiblesse de la communication interpersonnelle : Durkheim
La planète se « globalise et le fait en se médiatisant ». La question suscitée par le phénomène est : « Quelle est la vraie nature de l’influence des médias ? » Et toujours les deux écoles, de donner dans le binaire. La Première Guerre mondiale, selon Chomsky, amène « la première opération de propagande » organisée par les gouvernements contemporains. Dans les milieux éducatifs, universitaires des interrogations naissent : sur la « moralité » de la propagande et son « sens » dans une démocratie. Durkheim pense que le « consensus social » et au-delà, la « communication interpersonnelle » se sont affaiblis à cause de la « spécialisation croissante du travail ». Les citoyens de cette société (définie comme « anomie » par Durkheim) vivent dans « une confusion psychologique ». Les médias sont-ils capables d’« orienter la société » du fait de l’ « affaiblissement des rapports sociaux » ?
La « sociologie fonctionnaliste » estime que les moyens de communication de masse doivent assurer un « équilibre social par la reproduction des valeurs du système social. Mais dans un tel « contexte » le « récepteur » des médias est « isolé et passif ». L’Ecole de Francfort, avec Theodor Adorno (1931) analyse la communication et la culture de masse en termes d’industrie culturelle. Il dénonce une « faillite de la culture » qui est réduite au rôle de pure marchandise :
« La supercherie ne réside pas dans le fait qu’elle gâche tout plaisir en permettant aux considérations d’ordre matériel et commercial d’investir les clichés idéologiques d’une culture en plein processus d’autoliquidation ».
Ecole de Francfort
L’Ecole de Francfort quitte la notion de « propagande » pour passer à celle d’ « idéologie ». Les publics sont fascinés par les médias car les contenus proposent des « points de vue structurés sur le monde » qui assurent une « morale de dominés ». Aucun espoir de « changement social » ou de « revanche sur le destin. » L’auteur pense que cette vision noire des choses vient du contexte vécu par les chercheurs, notamment et surtout en Allemagne, victime des « leurres masquant la montée du nazisme » puis du contexte d’exil au USA où la culture populaire est « dérangeante pour des intellectuels ».
Malinformants
Mais cette opinion sur les médias persiste du fait de médias « malinformants » courant après l’ « audimat ». On sent que « quelque chose ne va plus dans le fonctionnement général du système », on ressent un malaise qui est exprimé par le journaliste et essayiste Ignacio Ramonet. Tout est information, basculant dans la « surinformation ». Les libertés individuelles que la démocratie est supposée défendre ne peuvent s’exercer que dans la mesure où les citoyens sont bien informés et « participent à la chose publique ».
Mais cela ne peut l’être que par une démarche personnelle vers l’alterinformation. La masse ne s’y lance pas. Serge Halimi, dans « Les Nouveaux chiens de garde » estime que « les metteurs en scène de la réalité sociale et politique intérieure et extérieure […] les [les informations politico-économiques] déforment l’une après l’autre. Ils servent les intérêts des maîtres du monde. Ils sont les nouveaux chiens de garde. »
CONSENSUS AUTOUR D’UN CONCEPT AMBIGU
Les acteurs de l’éducation aux médias ont un présupposé : « Il est du devoir de l’éducation de ne pas ignorer la place grandissante des médias. » Même si l’éducation aux médias reste « périphérique » aux politiques de nombreux pays, « l’intérêt pour cette problématique s’est accru ». Au plan mondial, on constate « comme un mouvement ». Mais il y a ambiguïté : A quoi fait-on allusion quand « l’on parle d’éducation aux médias » ? Est-ce une éducation « globalisante » ou portant sur des médias spécifiques ? Et puis qu’est-ce que « média » veut dire ? Y a-t-il « multitude de réalités » ?
Education aux médias : Concepts et représentations.
Le caméléon
Dans certains cas, l’éducation aux médias est-elle « le fruit d’idéologies particulières » ? Difficile à dire. Le concept est un « caméléon » selon la chercheuse Geneviève Jacquinot. Y a-t-il une « prise de position interprétative par rapport à une entité réelle ou idéale ? » Des « imaginaires » ne sont-ils pas mis en branle quand on parle d’éducation aux médias ? Les débats universitaires indiquent que le concept « en débat » est la représentation de diverses pratiques.
Le mystère du consensus
Pour certains, l’ambiguïté vient de ce que l’on pense des médias 1) Il sont pris en eux-mêmes et pour eux-mêmes 2) Ils sont instrumentalisés en « auxiliaires pédagogiques ». L’auteur sent que les chercheurs évitent de se colleter avec le dilemme et une définition trop exacte qui réduirait les pratiques. En tout cas pour Jacques Gonnet :
« Un certain flottement autorise des rapprochements hardis, des fulgurances qui manquent si cruellement dans des disciplines universitaires constituées, marquées par une Loi non écrite, mais redoutable qui exige qu’on reste dans son champ ». L’éducation aux médias serait une « pratique éducative soutenue par une certaine vision du monde » qui est « la moins partagée du monde ».
Francis Barbey décide de « s’atteler » au concept d’éducation aux médias « dans sa signification originelle » afin de percer le mystère du « consensus » existant. En plus de ce retour à la signification première, il faut expliquer ce qu’est l’ « alphabétisation aux médias » (« literacy » anglo-saxonne) : l’ « éducation par les médias », l’ « éducation avec les médias ».
Education ou alphabétisation ?
Literacy
Les deux termes peuvent-ils s’équivaloir ? « Education aux médias » et « Alphabétisation aux médias » sont des traductions françaises de « media education » et « media literacy ». Le passage de « literacy » à « alphabétisation » est une traduction traitresse. « Literacy » peut être compris soit comme « aptitude à » soit comme « accumulation de connaissances », voire « vision du monde » : « le terme a donc une connotation plus pratique ».
Selon Jacques Gonnet, « literacy » se réfère à des « savoirs plus généraux » que le « simple fait d’apprendre l’alpha et le bêta », c’est-à-dire d’apprendre à lire. L’équivalent anglais « implique des savoirs pratiques » utilisés dans la vie quotidienne, du genre : « se repérer dans une ville », « gérer sa vie quotidienne ». Selon David Buckingham, « literacy » ne prend sens que dans un « contexte social et institutionnel donné ». Il n’est pas question de « collection d’aptitudes cognitives que chaque individu posséderait d’une façon ou d’une autre » une fois pour toutes.
Alors, que faire « pour rejoindre le phénomène interpersonnel et social […] important » où « intérêts et identités sociaux sont un enjeu important » ? En domaine anglo-saxon, déjà, « media education » et « media literacy » n’ont qu’un lien ténu. « Media education » évoque un processus, « média literacy » est le résultat de ce processus : les compétences, le savoir qui mènent au rôle de citoyen « assumé ».
Education aux médias équivaut-il à Education avec/par les médias ? :
Objet d’étude contre instrument
L’éducation aux médias se définit globalement comme un « ensemble de pratiques hétérogènes » qui prennent les médias « non comme des moyens pour apprendre telle ou telle discipline mais comme objet d’étude ». L’objet d’étude est se poser les questions : par qui et pour qui les médias diffusent-ils leurs messages ? Il faut réfléchir aux médias eux-mêmes, à leur fonction, les tenir à distance de soi dans son rapport à eux dans la journée. Sinon, les médias font office de « supports didactiques » au service de « disciplines » spécifiques ».
Mais est-il facile de distinguer l’objet d’étude et son usage comme simple instrument ? Non. L’entrée de l’éducation aux médias dans l’école, crée une superposition des pratiques. Geneviève Jacquinot s’interroge à partir de l’enseignement de l’histoire :
« Faire une recherche sur l’enseignement de l’histoire avec des documentaires et des fictions, cela amène à une didactique de l’histoire. Quel rôle la fiction a-t-elle dans l’enseignement de l’histoire ? Et le documentaire ? Les problèmes naissent : qu’est-ce que la réalité ? Quel est l’événement ? Comment choisir le traitement de l’événement étudié ? »
Il y a donc, pour les médias, comme pour l’histoire, une dimension didactique. Les médias objets d’étude ou les médias supports d’enseignement. Le média, « objet d’étude », devient « dispositif pédagogique » aidant à l’apprentissage, à la production, à la créativité. L’éducation aux médias et l’éducation par/avec les médias ne sont pas interchangeables, mais complémentaires.
L’éducation aux médias : un concept ambigu
Le concept d’éducation aux médias vient de l’anglais « media education » (apparition en 1959, dans un document ministériel de Grande-Bretagne) et il a été « promu » par l’Unesco en 1964. La traduction littérale dans une langue latine comme le français pose problème. L’expression est polysémique et son champ vaste à définir. L’expression « éduquer à » ne s’emploie pas. La polysémie autorise « l’imaginaire de chacun à l’investir dans le sens qu’il souhaite ». Les approches sont très diverses et occasionnent un certain « consensus ».
Le cadre du consensus
La responsabilité du pédagogue
Le consensus « s’articule autour de deux points centraux : l’idéal éducatif et une « certaine conception des médias ». De quel idéal s’agit-il ? Les médias occupent une « place prépondérante dans les sociétés » et ils ont un impact « sur la culture ainsi que sur les individus ». Selon le chercheur Jérôme Bruner, c’est la culture qui donne forme à l’esprit. Elle « procure l’outillage » permettant d’appréhender l’univers dans lequel nous évoluons, ainsi que la « conception que nous avons de nous-mêmes et de notre capacité à intervenir. »
Pour Abraham Moles, « la culture c’est ce qui nous reste et l’éducation est le mécanisme interindividuel ou social par lequel se construit ce qui doit rester dans notre esprit ». La démarche éducative devient de la part de certaines personnes un « moyen d’influence » sur des personnes plus jeunes. Le terme « influence » serait employé « pour le meilleur et pour le pire ». Selon Thomas A. Bauer, l’un des « pionniers de l’éducation aux médias », estime que l’intérêt porté à la culture et à l’éducation est supporté par l’intérêt porté à l’évolution politique de la société. Sinon, la démarche n’est pas « crédible ».
Espaces de socialisation
Le consensus éducatif vise un « idéal » : il faut que « tout homme qui rentre dans le monde ne soit pas laissé à lui-même mais qu’il soit pris en charge à l’intérieur d’un groupe d’hommes régi par des normes, des valeurs et des dispositions particulières ». Il semblerait que les médias « se présentent […] comme des phénomènes facilitant des processus qui influencent les sociétés. » Pourquoi ? Parce qu’ils sont « omniprésents » et qu’ils sont devenus « des moyens de production culturelle ».
On ne peut plus les considérer comme des « instruments neutres » délivrant uniquement des « messages ». Les médias « structurent la vie », « modèlent le langage », créent les « communautés », « bâtissent l’être au monde ». Plus simplement : les médias fabriquent des réalités, établissent des « jugements de valeur » et entrent en concurrence avec d’autres « espaces de socialisation ». Pour les enseignants, ne pas voir cela serait une « renonciation à leur mission éducative » : les médias, par leur médiation et leur impact culturel introduisent à une « méthodologie qu’il s’agit de ne pas ignorer ».
Les médias « interpellent l’éducation en trois sens » :
1) En tant que facteurs d’alphabétisation, les médias sont des « protagonistes de l’interaction sociale et de la production culturelle ».
2) Les médias devraient générer une méthodologie.
3) Du « point de vue critique », il doit y avoir une prise de conscience que les médias ne se limitent pas à une « capacité technologique, mais aussi culturelle » ; cela sous-entend une « conscience critique à faire acquérir ».
Consensus autour de certaines conceptions des médias
Diabolisation / Apologie
On note deux tendances : la diabolisation ou l’apologie. Dans l’imaginaire collectif les médias font l’objet d’ « une dénonciation et d’une accusation implicite ». Pour Len Masterman, l’éducation aux médias constitue un processus de « dénaturalisation » et d’une interrogation de la « représentation de la réalité ». Eduquer aux médias et aux nouvelles technologies qui les supportent est un rôle de « libérateur et de responsabilité ». Les élèves, dans les pays démocratiques doivent accéder à une « conscience politique » par des enseignements responsables qui les responsabilisent
L’éthique
Avec François Heinderyckx, il faut « recadrer » l’éducation aux médias « dans le contexte d’une éducation à l’information ». Comment définit-on cette dernière ? Elle est « entendue comme élément porteur de ‘’sens’’, susceptible d’éclairer, de renseigner, d’informer sur un sujet particulier ». Cela passe par l’extraction de l’information de la « logique économique ». Cette logique représente un « piège pour une information juste et citoyenne ». Une exigence « éthique » consisterait à « refuser le mélange des genres », à « réclamer le sens », à « détourner des produits ‘’malinformants’’ . »
L’UNESCO, UN CADRE FEDERATEUR
Les définitions de l’éducation aux médias
L’Unesco s’est engagé pour l’éducation aux médias. Très tôt, depuis les années 1960, elle a promu les « expériences autour de la relation éducation-médias ». Le « Conseil international du cinéma et de la télévision » (CICT) propose deux solutions pour la définition de l’ éducation aux médias, qui font figure de « premières définitions systématiques ».
La première date de 1973 ; il convient d’entendre cela comme :
« l’enseignement et l’apprentissage des moyens modernes de communication et d’expression considérés comme faisant partie d’un domaine spécifique et autonome de connaissances dans la théorie pratique pédagogique à la différence de leur utilisation comme auxiliaires pour l’enseignement et l’apprentissage dans d’autres domaines de connaissances tels que des mathématiques, de la science et de la géographie. »
Plus simplement, il s’agissait de l’enseignement et de l’apprentissage des médias. Il est à noter que l’Unesco, dès le départ, établit le « binôme enseignement-apprentissage ».
En 1979…
… l’Unesco propose une nouvelle définition, plus large. L’éducation aux médias reflète :
« toutes les manières d’étudier, d’apprendre et d’enseigner à tous les niveaux […] et en toutes circonstances l’histoire, la création, l’utilisation et l’évaluation des médias en tant qu’arts pratiques et techniques, ainsi que la place qu’occupent les médias dans la société, leur impact social, les implications de la communication médiatisée, la participation, la modification du mode de perception qu’ils engendrent, le rôle du travail créateur et l’accès aux médias. »
Ce type d’éducation aux médias transcende alors le « cadre exclusif de la discipline scolaire » et touche un « public plus large incluant les adultes ». Elle s’étend à l’histoire et au caractère créatif. Les médias font partie du processus culturel et social. »
Les définitions 1 et 2 ci-dessus ont été loin de faire l’unanimité…
L’Unesco s’engage en tout cas en se situant dans une « société dite de l’information et de la communication. » Pourquoi ? Pour aider « les individus à posséder les clés pour apprendre à se repérer dans des contextes en pleine transformation. Ainsi, le « terrain s’articule autour de trois points principaux » :
1-Mettre en relief la variété des « expériences nationales » et les « porter à la connaissance de tous les partenaires » à travers des publications
2-Produire des « matériels didactiques » : une « bibliographie générale » sur la question de l’éducation aux médias (par exemple : « A general curriculums model for mass media education », 1978)
3-La formation des enseignants : « former des ressources humaines au niveau national » équipées pour « organiser l’éducation aux médias et promouvoir des actions concrètes ».
Le Nord et le Sud
Mais le « véritable cadre idéologique et théorique de l’action » s’appuie sur le « nouveau plan de communication » sous le titre : « Communication au service de l’Humanité ». Il faut que la « circulation des informations et des idées » existe par « quel que moyen d’expression que ce soit ». Problème : ces moyens ne sont pas accessibles à tout le monde. Les pays pauvres ne sont pas en mesure d’offrir aux classes le matériel adéquat. Le but est alors de travailler à réduire la fracture entre le Nord et le Sud.
Cette disparité entraîne l’impossibilité pour les pays émergents de promouvoir des médias publics et privés, de faire connaître leurs vues, leurs valeurs culturelles et éthiques. Les pays en voie de développement doivent bénéficier de formation à l’ « esprit critique » et à la « défense des droits humains ». L’éducation aux médias est bien dans son rôle : abaisser les inégalités qu’engendre le contrôle de l’information dans le monde par les nations industrialisées. Cela commence par un accès aux mêmes sources d’information. Il est pertinent de « valoriser ‘’intra-muros’’ des valeurs locales avant de prétendre à une exportation culturelle de celles-ci à travers un équilibre informationnel ».
LES OBJECTIFS GÉNÉRAUX DE L’ÉDUCATION AUX MÉDIAS
L’éducation aux médias se conçoit « dans une perspective éducative et humaniste ». Elle participe au « progrès personnel, culturel et social de l’apprenant » et recherche l’ « émergence de la pensée critique de l’élève. » Louis Arenilla définit l’objectif de l’éducation aux médias « comme étant un comportement (ou performance) dont l’élève doit se montrer capable pour être reconnu comme compétent. »
La pertinence d’un objectif ainsi défini tient à trois choses : 1) Il doit être explicité en terme de comportement précis et observable 2) Il est défini indépendamment de la démarche empruntée pour l’atteindre 3) Il doit pouvoir être soumis à une évaluation
L’éducation aux médias et la formation de l’esprit critique
La formation de l’esprit critique est tenu comme principal dans une démarche d’éducation aux médias, supérieur à l’ « acquisition de connaissances sur les médias. En 1990, en France, dans la circulaire du ministère de l’Education nationale sur la Semaine de la presse et des médias dans l’école, il est clairement spécifié que l’élève doit porter un jugement critique sur la presse. Au Etats-Unis, la question de l’esprit critique concernant les médias se décline en « critical televiewing » pour la télévision, d’habileté critique (« criticals skills ») pour d’autres médias.
Comment l’ « esprit critique » se définit-il ?
Pour le chercheur Jacques Piette, le cadre de l’éducation aux médias ne dispose pas toujours des moyens adéquats pour « évaluer une capacité des élèves ». Sans aborder la question sous la forme d’une « analyse panoramique et synoptique des différentes définitions » de l’esprit critique, il faut considérer l’esprit critique, au-delà de l’éducation aux médias. Selon Odile Chenevez : « il devrait y avoir dans tout acte d’apprentissage une dimension critique pour questionner le contenu de l’apprentissage, pour ne pas se contenter d’apprendre ».
Dans cette logique, pour l’apprenant, l’esprit critique est « l’outil indispensable pour ne pas se contenter d’acquérir des savoirs, mais de les convoquer pour penser ». C’est un esprit de « discernement et de recul » mais pas une force de contestation systématique. L’esprit critique « scrute le monde », il est plutôt « désir que possession du savoir, démarche ». Il aime « la pensée complexe, multiréférencée ». Donc, chez les élèves, on doit trouver « une vraie vigilance […] s’exer[ce] par rapport à la critique elle-même pour éviter qu’ils ne s’adonnent plutôt à une sorte de malhonnêteté intellectuelle méprisant le souci de la vérité. »
On peut dénombrer trois types d’esprit critique :
1) L’esprit critique à « dominante expressive », de citoyenneté, qui défend les droits de l’homme et les libertés fondamentales
2) L’esprit critique à « dominante pragmatique ». C’est l’esprit critique qui suit les règles de procédure à l’intérieur d’une démocratie.
3) L’esprit critique à « dominante philosophique ».
La critique porte sur « le sens de la vie » et a pour finalité « de transformer l’autre en profondeur dans une relation pédagogique. Pour François Galichet, il n’y a pas de choix à effectuer entre les trois. Mais il « faut éviter de les mêler et de glisser de l’un à l’autre ». La « pensée critique » forme avec la « pensée créatrice », la « résolution de problème », et la « prise de décision » les « quatre processus cognitifs complexes ». De plus la « pensée critique » peut procéder, dans sa démarche, de l’ « évaluation ».
Boisvert identifie « quatre objectifs éducationnels relatifs à l’enseignement de la pensée critique » : 1) Accroître les capacités sous-jacentes à la pensée des apprenants (classification, analyse, élaboration des hypothèses) 2) Faire apprendre aux élèves des méthodes susceptibles de faciliter leur pensée (résolution de problèmes, stratégies d’autogestion) 3) Améliorer les connaissances portant sur la pensée 4) Montrer les attitudes incitant à penser (curiosité, stimulation de la découverte, être satisfait de produire. Mais malgré cela, « la question de la définition et de la formation de l’esprit critique reste difficile à cerner.
L’esprit critique, un objet aux contours variables
Il n’est pas « aisé de définir et enseigner l’esprit critique ». Il est encore plus difficile d’évaluer le degré d’esprit critique suscité chez les élèves, quelle qu’en soit la matière enseignée. Si l’esprit critique en soi-même ne s’enseigne pas alors, qu’en est-il de la formation du « critique » en éducations aux médias ? L’ « identification de l’’’esprit critique’’ en éducation aux médias » semble être soumise à des « variantes » : le terme est utilisé « de façon interchangeable » dans « la plupart des programmes d’éducation aux médias », en fonction des « théories » : « distance », prise de « recul », être « actif », être « lucide ».
La notion d’esprit critique a été « à la mode » dans les années 1970-1980 en éducation aux médias. Celle-ci était considérée comme « un processus de démystification pour ébranler et rendre visible les idéologies des médias » dans la mesure où les élèves étaient passifs et devaient devenir rationnels et analystes. Ensuite, il n’a pas été question, selon Len Masterman, de capacité ou de « compréhension critique » mais d’ « autonomie critique ».
Mais la personne chargée d’enseigner l’autonomie critique serait-elle « légitime » ? Serait-elle, elle-même, « ‘’critiquement’’ autonome vis-à-vis des médias ». Selon Philippe Meirieu les « capacités n’existent que par hypothèse » puisqu’on ne peut les observer qu’à travers leur mise en œuvre et dans un contexte particulier. On n’obtient jamais « la garantie qu’une capacité est maîtrisée » dès lors qu’elle est « désincarnée et sans objet ».
Si l’autonomie critique ne peut être atteinte, il faut travailler selon « un dispositif capable d’aider à ‘’conférer’’ [aux apprenants] une compétence de communication sans laquelle toute éducation aux médias est vouée à l’échec ». Dans ce dispositif l’ « éducateur » n’est qu’un « aide » et non pas un « magistère ». La notion de transmission est-elle plus recevable ?
L’éducation aux médias et la transmission des valeurs
De plus en plus de chercheurs en éducation aux médias ne raisonnent plus en termes de « formation de l’esprit critique » mais plutôt en termes de « transmission de valeurs », avec des apprentissages moins cognitifs et plus « sociaux ». Il faut permettre aux enfants et aux adolescents de se socialiser. Il semblerait que cette approche convient parfaitement aux « enfants de milieux populaires défavorisés ». Les valeurs leur sont dispensée par lé télévision, de manière biaisée, sous le forme du « divertissement » et du narratif.
Cependant les récits établis par les médias diffuseurs sont de « mauvaises » valeurs : une « vision manichéenne » de la société et des rapports interpersonnels (les bons et les méchants), une « idéalisation de la lutte », l’ « autoritarisme comme relation positive », le « culte du corps », l’ « inégalité entre les sexes », la « dévalorisation de l’école et de la lecture ». C’est à ce niveau que paraît pertinente l’éducation aux médias.
Cependant, il ne revient pas à la pratique de l’éducation aux médias de se lancer dans une « dénonciation explicite » d’un lavage de cerveau et de la « corruption morale ». Toutes les disciplines sont concernées, à moins qu’il n’y ait une volonté politique et sociale de l’usage du recul face aux médias.
Carlo Nanni estime que le problème n’est pas celui de l’éducation aux médias mais de la « vie communautaire » et de la « coexistence sociale en général ». L’école ne peut assumer toute seule, en tant que « sanctuaire » des valeurs ébranlées dans l’ensemble de la société.
Le problème de la représentation d’antivaleurs sociales dans les médias vient de ce que c’est toute une société qui fait de ces médias « des moyens de production de nouvelles valeurs. La faute ne revient pas aux médias « complices de notre voyeurisme » mais aux propres choix qu’effectue une société pour elle-même.
Les valeurs ne s’apprennent jamais dans des « cours spécifiques », mais dans des « situations éducatives et des séquences d’enseignement » qui montrent que l’ « on apprend mieux dans la coopération que dans la rivalité ». Dans ces conditions, finalement, il n’y a pas que les élèves des « milieux populaires » qui soient exposés aux valeurs négatives.
L’éducation aux médias et l’idéal de la communication
Pour certains chercheurs, l’éducation aux médias doit mettre en relief l’importance du « destinataire du message ». L’apprenant qui travaille sur les médias en tant que « producteur » lui-même rencontre à un moment la notion de « responsabilité », autrement dit « communiquer, c’est s’intéresser à l’autre ». Mettre l’élève en situation d’élaboration de son propre message l’accoutume « à s’exprimer devant d’autres personnes à l’intérieur comme à l’extérieur de son propre milieu ».
Le « learning by doing »
Les « tenants de cette approche » estiment qu’une « meilleure compréhension du mondes des images et des sons passe également par la production des images et des sons ». Passer par le faire-soi-même permet de comprendre que les images et les sons ne sont pas « le reflet de la réalité », mais une « construction ». L’élève exprime ses propres idées « par la réalisation de journaux, de programmes radiophoniques et télévisés, de films, de photographies et de photomontages, d’affiches et de campagnes publicitaires ».
Mais l’éducateur aux médias se doit d’avertir ses élèves que si l’exemple des professionnels est formateur, il ne faut pas viser la ressemblance. Il ne faut pas viser la perfection technique « professionnelle », mais son esprit. L’éducation aux médias n’est pas exclusivement un « espace de productions » mais « opportunité de réflexion sur les rapports interhumains ».