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Publié : 10 janvier 2017

La presse d’information multisupports / Imaginer, concevoir, expérimenter, créer.

Jean-Marie CHARON, sociologue des médias

UPPR, éditions de « livres à lire en 2 heures ».

Travail horizontal du public

Pendant et légèrement après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, les réseaux sociaux ont accueilli des informations utiles venues du terrain, rapidement introduites dans les sites « live » des journaux, dont Le Monde et Libération : où se mettre à l’abri ? Quêtes de proches sur le terrain, en mini-textes, et images instantanés. Très rapidement, on s’aperçoit que ce genre d’événements déclenche l’activation des réseaux-moteurs de recherches -liens vers sites. Cela horizontalement, de manière ascendante et non plus comme avant, depuis les rédactions hiérarchisées et descendantes des titres de presse.

Téléphonie et informatique

Comment cela s’est-il mis en place ? Par la fusion de la télématique (téléphonie) et de l’informatique. Des « gens ordinaires » produisent de l’information avec leurs téléphones : « Voilà trois décennies que le processus est engagé » estime Jean-Marie CHARON. C’est la rencontre entre la technologie avancée et la naissance de la priorité de l’individu. Et cela ne va pas s’arrêter, ce qui suscite un principe et un sentiment d’ « incertitude ».

Les avancées technologiques ne sont pas programmables, beaucoup de projets sortis des laboratoires ont capoté : « la tablete d’abord symbole de mobilité est plus souvent consultée dans le canapé en soirée » et le smartphone vit sa vie mais jusqu’à quand ? « Incertitude tant dans le hard que dans le soft ».

Les médias destinés à de grands collectifs – écrits, sons, images – ont eu leur « apogée […] au XXe siècle ». Face aux quotidiens les magazines sont sortis avec une offre plus spécialisée, jusqu’à des niches. L’individu diffère et veut le faire savoir. Il est différent socialement, selon le sexe, selon les âges. La production de l’individu en matière numérique a créé les blogs, les réseaux. Facebook a été investi par les adultes et il est délaissé des jeunes progressivement.

Jean-Marie CHARON parle de « basculement ». L’Internet et les outils qu’il met à la disposition des « gens » relève de l’ « infomédiaire » multiple : « Une nouvelle forme d’entité doit ainsi progressivement s’inventer, qui peut être, au moins dans sa forme transitoire, qualifiée de presse d’information multisupports ».

« Basculement dans le mode d’accès à l’information »

Les médias traditionnels n’ont plus « leur succès de masse », ils doivent muter « selon une logique des attentes, une logique des usages » horizontaux et polymorphes. Les jeunes lors d’événements positifs ou négatifs préfèrent les réseaux sociaux et butiner de site en site via des liens. Des chiffres : 63 % des Américains abonnés à Facebook ou Twitter disent s’informer par les réseaux et sites ; La Croix-TNS (2016) indique que 42% des 18-24 ans font de même ; Harris Interactive-Assises du journalisme (2016) indique 74% des moins de 25 ans. Les jeunes ont décidé, ils ont basculé. Les médias traditionnels ne pourront les débusquer des entités où ils sont. Même s’ils se plaignent de la faiblesse des contenus, pour les plus conscients.

Achat à l’article ?

Qu’est-ce que cela suppose comme réplique ? Des révisions « éditoriales, organisationnelles, commerciales ». Que faire ? On ne peut pas vendre du complet « hiérarchisé, articulé, synthétisé, mis en scène » ? On va vendre de « l’article » au détail. En effet les internautes jeunes accèdent à des sites uniquement pour un texte ou une illustration (photo, infographie), du son. Si bien que la page d’accueil, « la home page » n’est plus la porte d’entrée. Cela oblige les journalistes à produire des sujets plus courts, plus denses que certains articles d’autrefois, un peu délayés.

Est-ce que ce sont des « opportunités » ? Oui, si les articles illustrés audiovisualisés obtiennent une bonne place sur Google lors des requêtes (« bonne maîtrise du référencement »). Oui si se noue avec le lecteur une co-production, comme le commentaire de la part de l’internaute qui demande des précisions ou en fournit. Le média peut « susciter différentes modalités de témoignages sur les événements, des sujets de préoccupation ».

Jean-Marie CHARON prend l’exemple de « Normandie actu, pure player » c’est-à-dire uniquement sur Internet issu du maillage Publihebdos et émanant de Ouest-France, « qui s’est en partie imposé par ce biais face à Paris Normandie qui a plus de moyens. »

La circulation horizontale des internautes est « un objet d’observation » pour les « rédactions », les « start-up ». Elles cherchent à identifier des « tendances émergentes », des besoins d’ « histoires ». L’intervention, la co-production d’information par les internautes est ce qu’on peut appeler la « rédaction ouverte »

Le lectorat jeune ne raisonne plus en monétisation à l’abonnement, mais à l’article. Et cet achat à l’article, doit être facile, histoire d’un ou deux clics. Les « plateformes d’achat multiéditeurs » sont une solution.

Chronologie et combinaison des supports

Les jeunes ne sont pas exclusivement sur un seul support. Ils ont « plusieurs terminaux ou appareils » qu’ils combinent en une « pratique multi-écrans ». Téléphone sur le trajet du travail, ordinateur au bureau, à nouveau smartphone sur le trajet du retour, tablette à la maison « dans le canapé ». Il s’agit d’une « chronologie » et d’une « combinaison diverse » des usages. Les « rédactions » n’ont qu’à se diversifier, s’adapter en une « succession d’offres », en opérant par « alertes » ou « événements forts ».

Chaque support doit réagir de la manière qui lui est propre : smartphone, ordinateur, tablette doivent produire selon une modalité identifiée comme différente.

Des modèles économiques dépassés

Est-ce passager ? Et si cela persiste, comment les modèles économiques doivent-ils se transformer ? Le modèle « papier » relève d’un support en recul. Quant au numérique : le modèle n’est pas en cohérence. Pourtant le Vu du Figaro (9,6 millions de visiteurs uniques), Le Monde (8,7 millions) sont très lus. Mais gratuitement, avec de moins en moins d’annonceurs. Aux Etats-Unis le numérique générerait cinq fois moins de revenus publicitaires que l’imprimé. Pourquoi ? En fait, il faut tout remettre en perspective : il y a baisse continue de la publicité dans les grands médias. 2015 : - 5,9% de baisse en presse écrite. La presse écrite est un média en situation de drame si elle veut être indépendante. C’est aussi un phénomène qui n’a rien de français, c’est le cas de l’Europe. Les quotidiens écrits ont perdu beaucoup d’argent du fait de la baisse des petites annonces. Elles vont s’installer sur le Bon coin par exemple.

Simultanément « de nouvelles recettes peuvent être générées par le numérique » Mais c’est à relativiser dans la mesure où le « périmètre pris en compte est plus large ». En effet, il faut compter avec tous « sites internet d’institutions, de marques commerciales » qui attirent les annonceurs. Les entreprises construisent leurs propres sites et entrent dans les réseaux sociaux. On appelle cela les « Médias propriétaires » qui auraient « des sources évaluées à 2,1 milliards d’euros en 2015 ». Alors que le chiffre d’affaire, en publicité, de toute la presse était évalué à 2,6 milliards.

Lecteurs et utilisateurs

Les revenus générés par l’audience sont « proportionnels aux reculs sensibles des diffusions », c’est-à-dire des baisses. Ainsi Le Monde, le Figaro ont trouvé un seul moyen de survivre : augmenter le prix du journal par temps d’inflation quasiment nulle. Le risque est de perdre encore des lecteurs, les milieux populaires.

Quel est le problème ? : la concurrence entre les médias numériques qui sont obligés de limiter l’accès gratuit à leurs parutions. Baisse de la lecture et volonté de gratuité de l’internaute (surtout le jeune). L’internet produit du gratuit quel que soit le contenu concerné. Cela est renforcé par la livraison de journaux papier gratuits en Scandinavie, modèle qui fait du tort aux journaux de qualité qui offrent des articles complets, plus aboutis, plus informatifs.

La volonté chez les jeunes d’accéder, comme un dû, à un contenu gratuit entraîne les personnes plus âgées à rechercher de telles parutions. C’est de l’information basique, brute, « redondante ». Il paraît improbable que ces journaux-là reviennent en arrière et se fassent plus ou moins payants.

La « question du rapport à la lecture sur support imprimé connaît un éclairage renouvelé avec l’apport des études dites ‘générationnelles’ développées par le Département des Etudes et de la prospective du ministère de la culture et de la communication ». Il semble que pour une même personne, d’une génération donnée, son niveau de lecture ne s’élève pas avec l’âge.

Face « au recul de la diffusion des éditions imprimées, comme l’érosion des recettes publicitaires, les éditeurs n’ont pas d’autres alternatives que de repenser des stratégies de paiement de leur information ». La priorité : fournir des abonnements diversifiés : gratuité et abonnement, à savoir « le mur » ou « pay wall » qui permet l’accès à quelques articles (5 à 10) avec paiement pour « aller au-delà ». Il existe aussi le « freemium » : accès à l’information de base et paiement pour les articles « à valeur ajoutée » comme pour Le Monde et Le Figaro . Quoi d’autre ? Le crowdfunding : c’est la sollicitation de la générosité des futurs lecteurs, en amont, avant la création d’un journal, ou avant sa transformation. Cela a été le cas pour Nice-Matin, en difficulté, renfloué de cette manière par Ulule. Une étude de l’Université de New-York tend à montrer que cela ne marche pas sur la longueur d’après l’observation d’un certain nombre de titres.

Mais le modèle économique véritablement efficace c’est l’achat du journal par son lecteur (abonné ou en kiosque). Cela « n’exclut bien évidemment pas la recherche et l’expérimentation de modes de commercialisation des audiences auprès des annonceurs ».

Services et événementiel comme ressources relais

Quelles ressources relais pourraient intervenir ? Il semble qu’on soit devant deux voies possibles : services et événementiel. Quels services rendre ? Faire de la formation, fournir des renseignements pratiques, effectuer des réservations. Et pour l’événementiel ? Se fonder sur le sport, le divertissement, « en passant par la connaissance ». Les réussites les plus spectaculaires se fondent sur la « spécialisation » et/ou « la localisation ». C’est le cas des Echos et du Télégramme. Chez Les Echos, « le développement de services est ancien ». Pas original pour un journal destiné aux entreprises. Les services rendus à ses lecteur par Les Echos, quels sont-ils ? Formation, rencontres et colloques, activité sur les salons. Cela représenterait un chiffre d’affaire de 25% de celui du groupe. Pour le Télégramme, grâce à sa position maritime près de Morlaix, il rassemble des vieux gréements, « des courses au large » tel Le Vendée globe, également des concerts ou festivals (Francofolies). Les services ? Par exemple Région job. Cela a généré l’apparition d’une autre société, sœur, Télégramme développement.

Nouvel écosystème – Nouveaux acteurs

Le système économique du secteur est perturbé, « la valeur des groupes ne cesse de reculer », comme cela s’est vu par la « cession des groupes l’Express, le Nouvel Observateur ». Tandis que les start-up bouillonnent de création, associant « des services et contenus ». Dans un nouveau paysage, les « infomédiaires contribuent puissamment à modifier les relations entre les producteurs d’information- nouveaux et anciens – et leurs publics. » Ce sont ces transformations qui font parler d’un nouvel écosystème.

Les pure players émergent

Le début des pure players français date de 2007 avec la création de Rue89. Un peu avant, il y avait eu CaféBabel. Les blogs ont donné lieu aussi à des expériences d’édition. Rue89 ne s’appuie pas à un support imprimé, radio, ou télé préexistant, il se construit seul, d’où l’expression anglaise de « pure player », de celui qui joue seul sa partie.

D’autres ont suivi : Bakchich, Mediapart, Slate, Arrêt sur images, Atlantico, Owni, Newsring, QuoiIfo. Les fondateurs dont des « journalistes aguerris », qui ont dirigé des titres (Pierre Hasky, Edwy Plenel, Jean-Marie Colombani, Joël Aubert). Ce sont « des seniors de la profession qui entendent réaliser sur Internet une nouvelle expérience ».

Chacun a l’idée de sa démarche : Médiapart : investigation ; Rue89, avec des transfuges de Libération : participation et analyse ; Slate : analyse de fond et expertise ; Owni : la datavisualisation. Tous ces titres ne s’attaquent pas à l’information de flux, ni à l’exhaustif (fautes de moyens). Chacun occupe « sa niche ». Certains titres comme Médiapart sont offensifs. Les enquêtes de la rédaction s’imposent dans le paysage médiatique, mais aussi la politique, puisque Médiapart entend dévoiler les secrets du politique. Ce ne sont pas des « forçats de l’info » qui travaillent dans ces titres, la démarche est riche et renouvelée. Mais le modèle économique n’est pas forcément trouvé. Médiapart et Arrêt sur image sont, en gros, les seuls à avoir trouvé un équilibre.

D’autres pure players sortent, avec des équipes plus jeunes (Cheekmagazine, Ulyces, Ijberg, LeQuatreHeures, L’Imprévu, Brief.me, Contexte etc.) Ces journaux se sont construits autour de projets plus « centrés » (« reportage, curation, participation, Slow information, international, mode de décision européen, femme, génération Y »). Le public s’abonne, achète à l’unité, participe au crowdfunding. Les formules se mélangent. On est « dans une logique de laboratoire, d’expérimentation éditoriale ».

Pure players créés par des médias

Il est difficile pour des journalistes d’une rédaction traditionnelle de passer sur le Web : les habitudes d’écriture, les logiques de pensée sont à modifier. Se sont lancés dans l’aventure des petits groupes du Monde, de Libération. Mais le changement de support n’empêche pas l’internaute-lecteur d’attendre de son titre une continuité de ton et de forme. L’approche inédite du numérique par la presse quotidienne « associe intimement les internautes à la production d’une information largement issue des réseaux sociaux. » Problème : la publicité ne suit pas.

Le Monde s’associe au Huffington Post pour essayer de se diversifier et de gagner de l’argent. Le Monde semble avoir été pionnier, avec cette association, suivant un modèle américain. Donc pas « d’information de référence nourrie par la rédaction du quotidien », mais une petite rédaction, plus « légère ». L’entreprise américaine a formé cette petite équipe (« compétences éditoriales », « méthodologie », « organisation », « plateforme technique »). Une vedette de la télévision assure la direction : Anne Sinclair. Un rédacteur en chef vient de 20 Minutes. » Option principale : « faire appel à un large éventail d’experts non journalistes », avec des journalistes scrutateurs des « préoccupations des internautes ». L’ « équilibre » (financier) est atteint en 2015.
Du côté de L’Obs, c’est une association avec Rue89, mais aussi avec la création du « Plus », L’Obs en ligne.

Également, du côté Ouest du Pays, Ouest France, prend le parti de créer 76.actu puis de le transformer en Normandie.actu (2014). Des versions papier gratuites sont lancées en 2010 : Le Havre Info, Côté Rouen. Normandie.actu, issu de 76.actu qui s’appuyait sur les réseaux sociaux, semble plus dynamique que le grand journal régional Paris Normandie qui bénéficie de plus de moyens. Ouest France se nourrit en partie de Normandie.actu qui n’était qu’une expérimentation au début.

Éditeurs d’information multisupports

Dans les années 1990, les éditeurs de presse se positionnent sur l’Internet mais avec l’idée d’une petite diversification. La pratique gagne en ampleur, et il faut créer des « départements spécifiques ». Les médias anglo-saxons se sont un peu emballés, en jouant la grenouille et le bœuf. Leur positionnement sur le Net les amène à s’imaginer fournisseur d’accès voire moteurs de recherche. Et c’est l’ « éclatement de la bulle » qui recentre leurs ambitions. Les USA « rationalisent » le phénomène social du web et tendent à faire fusionner les rédactions print et les rédactions internet. On imagine des « stratégies de valorisation de flux d’information chaude, d’écriture multimédia, de services participatifs ». Mais les sites massifs de vente en ligne ou les moteurs de recherche ramènent au principe de réalité, c’est leur métier.

Les éditeurs de presse « ont besoin de s’appuyer sur des partenaires qui leur apportent de l’information, ainsi qu’un accompagnement technique et commercial ». C’est pourquoi les agences de presse internationales (dont l’AFP) s’engagent dans une mutation de manière à traiter simultanément texte-image-son. Elles peuvent fournir à leurs clients « des contenus intégrant l’ensemble des formes de récit ». Intervient aussi le « comité de pilotage R&D, « médialab interne », c’est-à-dire un système d’accroissement de connaissances et d’informations constant.

Les agences se constituent en centre d’archives, en entités qui observent les comportements des lecteurs. Elles participent d’un « univers de l’innovation et de la recherche » où existent des start up « de contenu », à savoir du journalisme de « développent informatique », de design, de graphisme ». Ces petites entreprises expérimentent pendant que les rédactions ne sont que dans la répétition de leur savoir-faire. Elles en bénéficient ensuite parce que ces start up offrent de réels services. Certaines proposent de la « data visualisation », de la formation de journalistes (Le Parisien et Paris Match disposent de personnel qui se forment). Certaines start up allient information et jeu, comme la française Pixel Hunt, ou Casus Ludi.

Même si les start up et les éditeurs sont en relation, il leur faut un « lieu et un acteur qui fait ce lien, accompagne et conforte » ; ce sont les « plateformes d’incubation » très actives et créatives. Cependant, des entités ternaires viennent gêner ce lien, ce sont les « infomédiaires ».

Les incontournables infomédiaires

Quand l’Internet paraît, le paysage compte ceux qui font l’intermédiaire entre l’utilisateur lecteur et l’offreur de contenu qu’est la presse. Le premier intermédiaire est le « fournisseur d’accès Internet » ou FAI, puis c’est le moteur de recherche, les plateformes d’échange (vidéo entre autres) qui font cohabiter information et divertissement, et les derniers arrivés sont les réseaux sociaux.

Certains infomédiaires sont nés avant l’Internet, Microsoft (1975), AOL (1985). Leurs compétences sont surtout informatiques (programmes, logiciels) et dans le rôle de télécommunication (moteurs de recherche, réseaux sociaux ensuite). Apparaissent ainsi Google, Facebook, MSN, You Tube. Ces infomédiaires programmatiques ou relationnels se développent avec une expérimentation constante, un dynamisme de recherche. AOL a régressé à un moment puis a pris le contrôle du Huffingpost. Yahoo développe des contenus (actus et autres). Le français Lagardère se positionne en FAI avec le Club Internet. Hormis certains infomédiaires, ils laissent en général les contenus journalistiques aux éditeurs.

Infomédiaires concurrents de l’info ?

On peut noter trois concurrences : 1/ Quand ils développent des portails associant info et divertissement 2/ Quand ils gênent les éditeurs avec le développement des algorithmes déstabilisants qui offrent une visibilité ou non dans leurs moteurs de recherche. Pour fidéliser leurs lecteurs les médias sont obligés de jouer la course à la meilleure place sur Google, par exemple ou sur Facebook 3/ Le troisième élément de concurrence est la gestion de la publicité. En effet, les infomédiaires concurrencent les médias pour le placement publicitaire. En France, Google surpasse de quatre fois l’audience des éditeurs les mieux placés en annonceurs. De plus, les moteurs comme Google conservent les listes des internautes pour revente à des commerçants de produits ou de services.

Les infomédiaires répliquent en insistant sur le fait que les éditeurs n’auraient pas d’audience, donc de chiffre d’affaires, sans eux qui en sont pourvoyeurs. Par exemple, en 2005 l’AFP intente un procès contre Google. Ses contenus sont réutilisés. Mais, il semble que dans leur intérêt les infomédiaires doivent se rapprocher des éditeurs. Une forme de partenariat consiste à rémunérer les contenus utilisés, par exemple Orange et Yahoo pour l’AFP et Reuters. Facebook a mis en place la notion d’article instantané dans son réseau, les internautes se conseillant les uns les autres d’aller vers une information en buzz..

Mais on note que la mauvaise santé de la presse fait qu’elle est rachetée : 2016, SFR achète Libération, Free de Xavier Niel est l’un des actionnaires du groupe Le Monde. Mais il ne semble pas que cela puisse durer car l’information n’est pas dans le savoir-faire des infomédiaires. Peut-être ont-ils fait de mauvais investissements ?

Quand l’entreprise de presse deviendra-t-elle multisupports ?

S’il y a complémentarité entre imprimé et numérique, cela fonctionne pour les magazines mais pas pour la presse quotidienne À moins qu’elle ne passe en multisupports. Dans un journal, il faut que l’imprimé et le numérique travaillent en cohérence, que les journalistes se spécialisent. Besoin est de travailler ensemble tous les supports : « On est au-delà de la notion de « web first », il faut jouer la carte de la « combinaison optimum » ». Les anciennes rédactions ? Elles doivent fusionner avec l’idée d’une « news room » pour tous les supports. D’autres entreprises de presse peuvent travailler ensemble, même si elles produisent séparément. Ainsi Prisma presse, 20 Minutes, Ouest-France qui se se dotent d’un pôle TV. Mais la fusion des rédactions ne suppose pas un modèle unique de journaliste qui fasse tout, le « journaliste Shiva » aux bras multiples.

La presse doit être maîtresse de son temps et de ses supports

Le mieux serait peut-être de s’organiser « en cycles d’information de 24 heures », dans lesquels se succèdent « des formes éditoriale correspondant à chaque support et à leur public », en ne rejetant pas le système des « alertes » pour les « urgences de l’actualité ». Comme dans les « lives » du Monde ou de 20 Minutes : « C’est ainsi que vont se succéder les éditions du matin sur Smartphone (la matinale du Monde par exemple), puis sur ordinateur durant les horaires de travail, avec un retour des Smartphones, avant que n’interviennent les tablettes (telle l’édition du soir de Ouest-France) […] et bien sûr la préparation de l’édition imprimée ».

Devenir des pôles spécialisés en information à valeur ajoutée

Le second enjeu d’organisation de la rédaction ? Un impératif de monétisation, en optimisant conception et contenus avec la notion de pôles de compétence, des journalistes spécialisés vidéo, datavisualisation (infographie sur des chiffres), vérification des dires comme pour les « Décodeurs » du Monde. La rédaction doit être ouverte. Comment ?

En devenant une rédaction qui s’appuie sur des journalistes, pouvant se situer à l’intérieur et à l’extérieur de celle-ci (pigistes), issus d’agence d’informations généralistes ou spécialisées, de « start up de contenus », du web documentaire, du news game, d’enquêtes et investigations lourdes avec des médias partenaires. Par exemple avec le scandale des Panama papers, plus d’une centaine de rédactions se sont associées.

La rédaction peut aussi s’ouvrir aux « experts », « spécialistes » (« chercheurs, universitaires, consultants »), par exemple les experts du Huffingtonpost, de Le Plus, d’ Atlantico. La rédaction s’ouvre également à son « public » qui est potentiellement porteur d’information avec les réseaux sociaux. Le site normand Normandie.actu utilise régulièrement les réseaux du fait de ses effectifs modestes. Le public-source apporte du texte, de l’image, du son « bruts ».

Le quotidien déquotidiennisé

On sait que le magazine (hebdomadaire) marche mieux que le quotidien, alors pourquoi ne pas sortir un journal tous les trois jours seulement (papier) avec un rythme quotidien plus léger sur tablette ? C’est le cas aux USA, au Canada. Seuls les grand journaux, institutionnels, attendus par un public régulier pourraient relever du quotidien.

Comment monétiser la valeur ajoutée du multisupport ?

Pour gagner de l’argent, il faut innover, renouveler l’offre publicitaire : freemium (mot valise : « free » pour libre et « prime »), mur payant, abonnement classique, excluant la gratuité (instantanée, brouillonne, de surface). La qualité ne s’offre pas comme ça.

Pour en arriver là, Jean-Marie Charon estime que les journaux doivent phosphorer. LeQuatreHeure s’est attelé au reportage au long cours, LesJours s’intéressent à la continuité, à l’enquête aboutie, un peu comme la couverture des « affaires » par Médiapart.

Pour monétiser, il convient d’essayer une écriture, une mise en forme par élargissement, augmentation qualitative en « laboratoire » ou « labs ». Ouest-France et Sud-Ouest ouvrent en 2016 une plateforme d’incubation (OFF7 et 1Kubator), en accueillant des start up innovantes.

Dans une période d’incertitude générant des mutations, seule la recherche de la qualité, alliée à du multisupports permet d’offrir de l’information à des prix divers et au goût de publics ciblés et pérennes.