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Publié : 3 janvier 2015

Cultures Numériques

Éducation aux médias et à l’information

Séminaire de l’Ecole Normale supérieure de Lyon, 21 et 22 mai 2013

Préface de Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l’Éducation nationale et directrice du projet stratégie numérique.

L’éducation aux médias et à l’information est désormais inscrite dans les textes officiels, comme « axe fort », selon la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation.

La « refondation de l’école » s’inscrit dans le contexte d’une société de l’information et de la communication.

L’article 4 est clair : « [la finalité du système éducatif est de] développer les connaissances, les compétences et la culture nécessaire à l’exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l’information et de la communication ». Bien. « Mais que sont les cultures numériques […] en association avec l’idée de pratiques des jeunes ? »

Les pratiques des jeunes sont-elles en rupture totale avec les enseignements traditionnels ? Que fait concrètement le numérique ? Agit-il réellement sur les connaissances et compétences ? Nécessite-t-il la collaboration des parents et autres acteurs éducatifs que les enseignants ? Comment « mettre en œuvre » un numérique « citoyen » ?

L’école doit en tout cas se penser dans un paysage qui a changé ces vingt dernières années. Le numérique permet-il de lutter contre le décrochage, est-ce qu’il répond à des « besoins particuliers des élèves » ? Est-ce qu’il prépare « aux métiers de demain » ?

Il semble qu’il faille une « formation des enseignants […] indispensable ». Il y a « accélération du temps », modification des « espaces d’apprentissage ».

Le ministère de l’Éducation dispose d’une stratégie : « faire entrer le numérique à l’école » par « une action globale » et « dans tous les domaines et à tous niveaux de la formation et de l’éducation ». Un « pilotage de l’établissement » et de « la vie scolaire » est à repenser, dans la classe, mais aussi dans d’autres espaces, en valorisant « la curiosité […] l’investissement personnel des élèves, ainsi que l’accompagnement par les enseignants ».

L’EMI (Éducation aux médias) est « la clé de voûte des cultures numériques », elle est « inséparable de la formation citoyenne des élèves. » Parmi les missions de l’école, celle qui « se situe sans doute au-dessus de toutes les autres : c’est la formation de l’autonomie du jugement et donc la maîtrise des outils qui permettent de la développer. » Elle « recouvre trois dimensions : 1/ Savoir accéder à l’information, la traiter, l’évaluer 2/ Savoir produire de l’information et la diffuser 3/ Comprendre le monde de l’information. »

Ces trois dimensions doivent s’enrichir 1/ de la compréhension de l’architecture informationnelle 2/ de la connaissance de ses principes fondamentaux : langages, algorithmique, éthique.

Vocabulaire / Algorithme : ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d’un nombre fini d’opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur.

Éric Bruillard, professeur des universités, ENS Cachan / Jean-Louis Durpaire, inspecteur général de l’Éducation nationale / Mireille Lamouroux, chargée de mission auprès du directeur général du CNDP-Réseau Canopé

L’ouvrage préfacé par madame Becchetti-Bizot est issu de « Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information », séminaire à Lyon, en mai 2013.

L’ouvrage veut définir « une éducation aux médias et à l’information dans le temps de la scolarité obligatoire et au-delà. » Des « chercheurs de ce domaine ou de champs connexes » portent des « expériences innovantes ». L’ouvrage est composé de dialogues plutôt que de « certitudes ou de vérité définitives ». On a certes noté une concertation débouchant sur la loi du 8 juillet 2013. L’essentiel est de mettre « en évidence à la fois les enjeux éducatifs […] posés par la prolifération de l’information et les actions et stratégies pédagogiques déjà à l’œuvre ».

La création du CLEMI en 1983 « a été un acte fort de la politique éducative ». Parallèlement « l’éducation à l’information a pu bénéficier de la création du Capes de documentation en 1989, celui-ci s’autonomisant progressivement des disciplines traditionnelles pour se placer dans le champ des sciences de l’information et de la communication en 2007 ».

On peut noter « des points de vue variés sur les contenus de l’éducation aux médias et à l’information » : une vision large valorisant « la curiosité des élèves, la recherche et l’expression personnelles », puis « un enseignement d’éléments précis puisés dans des champs de connaissances identifiés » (information, communication, informatique). Rien d’antagoniste cependant. Des « visions complémentaires » relevant d’un « cursus d’apprentissage progressif de l’école à l’université ». Dans la scolarité obligatoire, on se doit de viser la « compétence à comprendre le monde », à « le décoder », à « s’exprimer », dans toutes les disciplines, « en construction commune ».

Dans ce contexte, « les professeurs documentalistes » ont « un rôle clé ». L’arrêté du 1er juillet 2013, définissant leurs compétences spécifiques, les fait « maîtres d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias ». En « concertation avec les autres professeurs ».

La mise en place de « nouveaux enseignements à caractère interdisciplinaire dans un système éducatif complexe n’est pas une chose aisée ». Des « dispositifs » doivent être « inventés ou réinventés », des « contenus sont à identifier » même s’ils ne sont pas encore stabilisés. L’ouvrage aide à « comprendre les mutations en cours » et les « idées en développement ».

Jean-Yves Capul, sous-direction des programmes d’enseignement, de la formation des enseignants et du développement numérique, Dgesco.

La place et le contenu d’un enseignement numérique comme l’EMI sont posés et il faut en définir les orientations. Quelle est la place du numérique « dans la loi » ? Plusieurs articles sont concernés :
- Art. 4, 31 (1er degré) et 35 (collège) : « [la formation scolaire] développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l’information et de la communication ».

-Art. 31 (1er degré) « [La formation] contribue également à la compréhension et à un usage autonome et responsable des médias, notamment numériques ».

-Art. 35 (collège) L. 332-5 « […] la formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique », « ainsi qu’une éducation aux médias et à l’information ».

-Art. 10. Selon l’article, il y a création d’un service public du numérique éducatif (SPNE). Il inscrit l’engagement durable du numérique dans la politique éducative. Le SPNE « reconnaît l’importance et le rôle du numérique dans toutes ses composantes : ressources et services pour les élèves et les professeurs […] aide personnalisée, communication avec les familles. »

La loi prévoit trois grandes dimensions pour les contenus des enseignements : 1/ le numérique dans les disciplines 2/ l’informatique ou sciences du numérique 3/ l’éducation au numérique ou aux médias et à l’information.

Le numérique est présent dans toutes les disciplines. Pourquoi ? Parce qu’il fournit des outils et des ressources. Il y a un domaine où le numérique est l’objet de la totalité de l’enseignement, c’est l’informatique dans les sections scientifiques. L’informatique est enseignée « depuis longtemps en lycée (STI2D, STMG). Mais « un enseignement a été mis en place dans les séries scientifiques […] cela n’a guère été concluant et cela a été supprimé ». Changement de « perspective aujourd’hui », le numérique étant si présent et source d’emploi, ce création d’emplois. L’enseignement « informatique et sciences du numérique (ISM) en terminale S » a été introduit depuis cette année et il semble qu’il va l’être sous forme d’option « aux autres séries générales de la classe de terminale ».

Aussi faut-il « enseigner l’algorithme et les langages de programmation dès le primaire » ? Peut-être pas, mais il y a une convergence réflexive européenne sur l’informatique à l’école. Il existe un « ensemble qui pourrait correspondre à ce qu’on entend par EMI, objet de débats et de travaux. » Quelle est la situation actuelle de l’EMI ? L’éducation aux médias est « envisagée dans un sens traditionnel, qui tourne autour des notions d’information, d’actualité et des médias de presse et audiovisuel et une dimension ‘’expression des élèves’’ ».

On constate l’existence d’une éducation numérique « symbolisée par le brevet informatique et Internet (B2I) » qui consiste en « l’acquisition d’une culture numérique ; un apprentissage des outils, avec une dimension forte d’Internet responsable ». Il semble qu’il faille « aller plus loin » car « nous connaissons des évolutions technologiques et sociales, qui modifient totalement le contexte ».

L’auteur invite à réfléchir sur « Quelques traits de ces bouleversements » :

— généralisation des équipements et des connexions, avec effacement de la « fracture numérique ». Cependant la fracture n’a pas été réduite. Il existe bel et bien des élèves de milieux socioculturels privilégiés qui « savent utiliser le numérique » pour « nourrir et amplifier leurs apprentissages » et les autres qui ne savent pas. Le « clivage social » est net dans la durée d’usage des outils. Les élèves « favorisés » ne perdent pas de temps devant les écrans, « tandis que les autres gaspillent leur temps ». L’équipement massif de toutes les familles est paradoxal : l’usage creuse la différence. L’usage chez les favorisés est encadré, dans une sorte de deuxième école, mais à domicile.

L’école doit alors apprendre à tous les élèves à bien se servir des outils pour que cela débouche vers un avenir professionnel chez les non « favorisés ».

— Le développement des réseaux sociaux : 80% des plus de 13 ans usent de Facebook, mais 2/3 des moins de 13 ans alors que cet outil est réputé leur être interdit. Il y a un an et demi le chiffre était de 20%.

— L’explosion de l’Internet mobile : les Smartphones (et les tablettes), l’accès illimité à la toile mais où le caractère non limité apporte des « contenus inappropriés » et la possibilité que cela entraîne de « discuter et de remettre en cause ce que l’enseignant dit dans sa classe ».

— « La mutation des contenus écrits vers des contenus audiovisuels », le développement « d’une culture vers l’image », rendue nécessaire par l’EMI.

— Enfin, « l’évolution certainement la plus importante pour nous : l’abondance d’informations facilement accessibles sur Internet ». Les élèves ont « à disposition » une « multitude d’informations dont ils ne savent trop que faire ». On trouve sur le Net, « ce que l’école enseignait et faisait apprendre » mais il est souhaitable d’ « apprendre aux élèves à bien utiliser cette richesse ». En effet, ils savent communiquer, jouer, acheter, mais les compétences manquent pour l’utilisation citoyenne.

C’est le rôle de l’EMI.

Qu’est-ce que l’éducation à l’information ? Dans chaque discipline scolaire il est nécessaire d’ « apprendre à trouver les bonnes ressources, d’apprendre à les qualifier et les mettre en perspective par rapport aux autres savoirs ». Le numérique atteint toutes les disciplines et « bouleverse le rapport au savoir des élèves ». L’enseignant les aide « à retrouver l’information pertinente (éducation à l’information) ». Le « cadre disciplinaire donne du sens à l’information à chercher ». Il n’y a pas « de savoir informationnel en soi ».

C’est ce cadre seul qui permet de « transformer une information en connaissance », de savoir passer « de l’abondance à la construction des savoirs nécessaires ». Le preambule du programme de terminale S dit :

« Dans une société où des informations de tous ordres arrivent dans l’immédiateté et de toutes parts, la priorité est donnée à la formation des esprits pour transformer cette information en une connaissance ».

Il faut fixer « un cadre national […] pour l’éducation aux médias et à l’information, qui pour nous [pédagogues du séminaire et pédagogues en général], n’est pas seulement une EDUCATION A supplémentaire », mais qui a un « rôle matriciel pour les disciplines ». Cela pourrait passer par un travail « d’élaboration d’un référentiel de compétences en EMI dans le cadre des enseignements disciplinaires et avec l’appui des professeurs-documentalistes ».

Politique numérique actuelle

« C’est une stratégie globale qui ne s’arrête pas aux seuls articles de la loi. C’est une stratégie complète et durable ». On pourrait penser à une « association plus grande des collectivités territoriales dans la gouvernance du numérique ». Notamment avec les ENT (« environnements numériques de travail »), les « téléservices », des portails, « des ressources comme les portails disciplinaires à destination des enseignants, le développement de partenariats pour contribuer au financement des opérations en EMI (Caisse des dépôts, fonds européens, Commissariat général à l’investissement et sur un nouvel appel à projet pour la e-éducation) ». Sans compter les autres opérateurs (Cned, CNDP, Onisep etc.)

L’élément de cette stratégie est évidemment « la formation des enseignants AU et PAR le numérique. Dans la loi, les Éspé ont cette exigence-là ».

Par ailleurs, tous les acteurs dénombrés dans ce qui précède doivent se montrer attentifs « [aux] avancées de la recherche aujourd’hui ».

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TABLE RONDE / CULTURES NUMERIQUES : QUELLES RESPONSABILITES DE L’ECOLE ?

Eric Sanchez, maître de conférences, ENS Lyon, Institut français de l’éducation
Paul Mathias, Inspecteur général de l’Education nationale

L’école est confrontée à des élèves dont elle ne connaît pas les performances réelles (celles-ci sont exprimées dans les réseaux sociaux) « tout en ayant pour mission de les former. A quoi ? A résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Aussi est-il « capital de penser une refondation numérique de l’école » pour rattraper les élèves qui échappent aux maîtres.

Penser une école numérique ? Cela revient à se confronter « aux évolutions de notre société » en s’y adaptant, « en accompagnant » les jeunes apprenants. C’est une opportunité pédagogique pour une « diversification des modalités d’enseignement », pour passer à « une fluidité des temps et une extensibilité des espaces éducatifs ». L’ « essor extrascolaire du numérique » est un défi à relever. Se trouver devant des classes de natifs digitaux oblige à intégrer le numérique à l’école.

Alors, « comment prendre en compte ces cultures dans les curriculums ? Quelles compétences numériques les collégiens et les lycéens doivent-ils développer ? » Avec le numérique, c’est une « métaculture » qui se dessine, c’est-à-dire une culture qui interroge toutes les autres cultures : se « repositionner », « repenser les fondements » des missions de l’école, comme transmettre des savoirs pointus (usage d’instruments technologiques en perpétuelle évolution dont les jeunes s’emparent avec une longueur d’avance), former des « citoyens libres et responsables » face à ce micro machinisme.

Que doit penser l’enseignant, en urgence ? Que parmi les élèves, certains (défavorisés) par leur milieu, sont dépassés par les nantis (ou favorisés). La fracture du numérique s’aggrave constamment entre favorisés / défavorisés. L’environnement familial socioprofessionnel est une deuxième école pour les favorisés dont les défavorisés ne bénéficient pas. Tous les enfants ne sont pas « aguerris aux usages du numérique ». Le terme de « classe » (très polysémique) est questionné.

Partons des « usages autonomes » des jeunes, en repensant « le rapport à l’autorité », décliné « en termes de savoir et de morale ». C’est moins réformer que reconstruire par les (re) fondation / organisation / médiatisation / « interaction au cœur de l’école ».
Les élèves sont plongés « dans un bain consumériste », l’école doit les en émanciper en un grand projet humaniste. L’école n’est pas la seule à devoir assumer cela : associons les différents acteurs sociaux (politiques publiques, économiques) en affirmant une cohérence.

La fréquentation des médias par les jeunes ne correspond pas toujours chez eux à une maîtrise spontanée. Les valeurs « transmises par les mondes médiatiques sont parfois en opposition flagrante avec celles de l’école ». Prenons en compte la culture numérique des élèves, plaçons-y des « repères » en faisant connaître « les normes juridiques », par exemple afin de réguler / pallier les risques encourus par du surf sur les flux de la toile.

L’ECOLE AU CŒUR DU NUMERIQUE
Michel Pérez, Inspecteur général de l’Education nationale

Dans la société que nous vivons, émerge le « citoyen numérique » qui entre dans des « zones d’ombre et d’incertitude ». Quid des « droits individuels », de « la vie privée », de la « protection des données » créées par cette émergence ? Le rapport de l’Assemblée nationale du 22 juin 2011 sur les droits de l’individu peut en partie y répondre.

L’école a bien du mal à prendre en compte ce jeune citoyen numérique en formation qui compose les classes. On peut relever trois défis principaux.

Une « interrogation fondamentale » est posée par « le constat de Michel Serres » :

« Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. » L’école connaît-elle donc les jeunes qu’elle accueille ? Plus frontalement, posons la question : « L’école peut-elle continuer à former des élèves qu’elle ne connaît point ». Dans ce cas, quel citoyen est formé si l’école ne prend pas en compte les compétences, même bancales, des élèves ? Des notions sont apprises ailleurs, échangées avec des pairs. Le professeur est parfois contourné. Existe-t-il bien une génération Y ?

[ « Y » : personnes nées approximativement entre les années 1980 et 2000. L’origine de l’expression a diverses explications, notamment celle-ci qui vaut ce qu’elle vaut : le « Y » est la forme du fil du « baladeur » qui descend des oreilles jusqu’au torse… ( ?)]

Les objets hypertech sont utilisés dans tous les actes de la vie : « sociabilité », « accès à l’information », information-formation entre pairs, « échanges (SMS, forums, blogs, chat) », « partage de ressources », « divertissement ». Selon Michel Serres, cette situation socio-technique est inédite : « Pour la première fois de l’histoire, on peut entendre la voix de tous, l’ensemble des voix humaines ».

Défi 1

Les changements de comportement des élèves ne sont pas traduits dans l’organisation de la vie scolaire car l’espace-temps de travail, la composition des groupes n’ont pas été modifiés. Modifier cela est le premier défi. La salle de classe est organisée « comme un autobus » : les élèves laissent conduite le professeur-chauffeur, seul détenteur du savoir. Que peut-on dire de la notion de « classe » ? Selon le Littré c’est : 1/ une distribution d’élèves selon les différents degrés d’étude ; 2/ la salle où se donnent les leçons ; 3/ le temps où les écoliers sont rassemblés pour la leçon ; 4/ la leçon qu’ils entendent elle-même.

Serait-ce une identité de lieu et de temps de type art dramatique ? Pour quel type de pièce : la « tragédie » ? Quelle serait la tragédie jouée ? Une « classe mutique » dans une évolution darwiniste : « seuls subsisteraient les plus robustes, les mieux adaptés à un système qui engendre la passivité et la reproduction de la parole du maître ». C’est contraire à l’ « esprit d’activité, de créativité et d’autonomie que permet le numérique ». Les outils n’ayant pas été pris en compte pour créer de « nouvelles pratiques » :

« […] il est souvent interdit d’utiliser un outil personnel (ordinateur, iPad ou Smartphone) ou même parfois celui qui a été fourni par la collectivité territoriale (lorsque c’est le cas) en salle d’étude, appelée plutôt ‘’salle de permanence’’ et qui se transforme souvent en salle d’attente ! »

Défi 2

Les pratiques pédagogiques n’intègrent pas bien « le rapport des jeunes à l’autorité ». Un nouveau rapport à l’autorité est proposé par Daniel Marcelli :

« […] l’autorité doit s’inscrire dans un lien de confiance. […] Ensuite l’autorité autorise […] avant d’interdire ; une autorité qui ne ferait qu’interdire, c’est de l’autoritarisme. […] l’autorité passe nécessairement par la communication humaine, le regard mais surtout le langage […] l’autorité exige un temps de latence, de réflexion pendant lequel l’action est suspendue »

Selon Michel Serres :

« Aujourd’hui, pour peu qu’il ait consulté un bon site, l’étudiant, le patient, le consommateur ou même l’enfant peut en savoir autant sur le sujet traité que le maître, le médecin, le directeur, le journaliste, ou l’élu. […] l’autorité est en crise parce que nous passons d’une société hiérarchique verticale, à une société plus transversale, notamment grâce aux réseaux comme Internet. » Plus de pyramide, que des connexions. « L’autorité devient celle de l’élément qui se trouve en connexion avec le plus grand nombre d’autres éléments, car il est reconnu par ses pairs ». Les jeunes ne seraient pas « moins respectueux d’une autorité, dès lors que celle-ci est fondée sur la compétence et non plus sur le pouvoir de contraindre ».

Défi 3

La formation des enseignants

Le seul problème n’est pas d’ « adapter » l’école (avec son « environnement », son « rythme » de vie, ses « rituels »), il faut « adapter les enseignants » à de nouveaux comportements « privilégiés aujourd’hui par les jeunes dans l’accès à l’information et aux médias ». Mais adapter l’école ne consiste pas à « renier son rôle émancipateur » mais à « intégrer cette culture numérique et imaginer de nouveaux modes d’interaction ». Les enseignants « abandonn[ent] la posture transmissive du savoir « pour devenir les médiateurs » de l’accès à la connaissance.

L’enseignant reste « le principal maître d’œuvre » mais il doit apprendre « à devenir l’indispensable médiateur de la construction du savoir ».

L’élément essentiel pour réussir une refondation de l’école avec le numérique est « in fine, l’enseignant, car l’ordinateur n’est pas le facteur majeur de la performance des élèves », il ne fait qu’ « amplifier ce qui est déjà en cours ». Cependant rappelons :

« Les bons enseignants peuvent faire un bon usage des ordinateurs, tandis qu’avec d’autres, les élèves pourraient se laisser distraire par la technologie ».

L’école forme le citoyen numérique de demain en effaçant le mieux possible les fractures technologiques, organisationnelles ou culturelles ». Elle doit aussi réduire la « fracture entre l’école et le reste de la société. Il découle de ce fait une rénovation « du rapport parents-enfants, élèves-enseignants, Etat-citoyen. » Michel Serres a le mot de la fin :

« Une nouvelle démocratie du savoir est en marche […] la seule autorité qui peut s’imposer est fondée sur la compétence. […] Si vous n’êtes pas décidé à augmenter autrui, laissez toute autorité au vestiaire. L’autorité doit être une forme de fraternité qui vise à tous nous augmenter. Si ce n’est pas ça la démocratie, je ne connais plus le sens des mots. »

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Le point de vue de l’Association Enjeux et médias
Christian Gautellier / Président

L’Association Enjeux et médias a été créée à l’initiative de mouvements laïques d’éducation populaire : la Ligue de l’enseignement, les Cemea, les Francas et d’une fédération de parents d’élèves, la Fcpe.

L’association a 4 objectifs : promouvoir une éducation aux médias ; défendre le droit des citoyens à une information de qualité, pluraliste et indépendante ; construire les bases d’un débat sur les moyens à coréguler les médias numériques ; favoriser et soutenir la recherche scientifique sur l’éducation aux médias.

La culture de l’information est devenue l’accès à l’ « ère numérique », laquelle a commencé dès 2006 avec l’avènement de « réseaux communautaires ». Cette culture n’a cessé de se « complexifier » avec « une explosion des formes différenciées de l’information », « une frénésie de communication ».

Pour se « projeter dans une éducation aux médias et une culture de l’information » il est nécessaire d’ « avoir une vision de ce qu’est le citoyen numérique. Le citoyen numérique établi, c’est-à-dire l’élève, doit s’engager dans une « maîtrise de la société de l’information ». L’auteur dit qu’il s’agit d’ « un enjeu de civilisation » : la construction d’une « société numérique humaniste ».

Pas besoin de dire longuement que les « jeunes ont migré sur les réseaux sociaux où ils se retrouvent entre ‘’amis’’ ou ‘’pairs’’ ». Il échappent ainsi aux adultes : parents, enseignants. Leurs pratiques pour « enrichissantes et ludiques » qu’elles soient n’en sont pas moins souvent des « confusions problématiques » : sur les libertés d’expression, propriété intellectuelle ou vie privée. En plus, la « fracture numérique » se creuse.

Il n’y a qu’une « minorité » qui use de la « bande passante à haut débit », développant des « usages enrichis ». Egalement, du point de vue déontologique, on observe des « relations asymétriques entre pourvoyeurs de plateformes d’origine américaine et utilisateurs de plus en plus jeunes ». Et à cela, quelle « alternative européenne » ? Nous touchons là, à un enjeu de « diversité culturelle et de dialogue interculturel de notre continent ».

A la fin du 19e siècle, le défi « était de passer d’une économie de production à une économie de consommation ». Depuis la fin du 20e siècle, l’ère numérique nous fait « passer d’une économie de consommation à une économie de participation ».

Quelques caractéristiques de l’ère numérique

Elles sont décelables « dans le cyberespace », elles correspondent à des « inversions », des « rééquilibrages », des « accélérations de comportement » ou « changement de valeurs ».
Quelles sont-elles, si on en dresse une liste ?

- Une interaction humaine et une interactivité « machinique » : c’est le Web 2.0, le partage des ressources ;

- L’usager devient « contributeur » voire « producteur d’information » et pratique l’ « extraction » puis l’ « exploitation » de l’information ;

- La culture alphabétique est concurrencée, voire « supplantée par la culture visuelle » ;

- Les médias « mutent ». Les « fonctions traditionnelles du spectacle » passent au « service », à des « formats hybrides » fiction-information, ou infotainment.

- L’activité (bureau / domicile) passe par « une connexion en ligne avec des retombées ou non, hors ligne »

- Le « rôle traditionnel de l’école » est « ‘’percuté’’ par des pratiques de co-construction et de collaboration » en « réseaux », « s’appuyant sur une énorme bibliothèque universelle »

Information et participations

Paradoxalement, le numérique est devenu collaboratif, alors que pour ses créateurs, au début, il y avait espoir d’une dimension de consommation. Le web est devenu de « l’autoexpression », de l’ « intimité extériorisée » sous des « injonctions technico-commerciales permanentes ».

Or la participation permet « diverses formes d’expression artistique, politique, culturelle et sociale… » Et « toute forme d’engagement civique et citoyen ». Pour passer de la promesse d’humanisme, d’expression collaborative « il y a nécessité de mettre en œuvre un projet d’éducation fort ». Mais on note « plusieurs contradictions ou tensions » du type « questions de société », « liberté d’expression et de diffusion », d’ « identité », « dignité, vie privée, diversité, droit d’auteur ».

L’ensemble ne doit pas être dominé par le marchand. Les « acquisitions positives » doivent être sauvegardées sous la forme de la démocratie (« droits de l’homme, sphère publique, liberté de la presse »).

Défis et obligations pour l’éducation

Le « citoyen numérique », donc « tous les jeunes » ont à maîtriser « les environnements et leurs usages, de manière consciente et critique. Le citoyen numérique jeune doit comprendre que :

« la plateforme ou le réseau numérique […] sont guidés par une intentionnalité incarnée par un autre sujet, le designer, dont la présence s’inscrit dans des langages de visualisation et de programmation ». Plateforme et réseau sont « au cœur d’enjeux économiques et cibles de stratégies marketing de plus en plus élaborées et fondées sur le profilage de leurs données personnelles ». Ces accélérations marchandes toxiques sont à être remédiées par des liens, réseaux d’ « intelligence collaborative distribuée »

Attention à l’ « illectronisme », l’incapacité à lire / écrire sur les réseaux pour nombre d’usagers qu’il faut aider. Inventer une « éducation aux médias et à l’information globale et multifacettes, au regard de tous les supports (presse écrite, télévision, ordinateur, tablette, téléphone, console, etc.) et contenus (actualités, fictions, publicités, services, jeux vidéos etc.) »

L’association Enjeux et médias soutient un triptyque : « critique, compréhension, création » en lien avec « une éducation à la consommation », lequel est adossé à la Convention internationale des droits de l’enfant et à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen ».

Une école revisitée

La promotion de l’éducation aux médias repose sur « une éducation formelle à l’école et tout au long de la vie ». Cela interroge l’ « organisation séculaire de l’école » qui est « un enseignant, une classe, une heure » et appelle un nouvel espace-temps éducatif, dans une démarche « de projet, de production ».

Lieux d’éducation non formelle

Le premier loisir des jeunes, ce sont les écrans. Une concurrence s’installe « entre les réseaux numériques […] et les structures de loisirs collectifs qui prônent l’importance de la rencontre, de la découverte de l’autre, l’agir à travers des activités de création ». Ces dimensions, les jeunes disent les trouver sur les réseaux sociaux. C’est l’éducation non formelle. Il faut entrer en « véritable vigilance ». Un bon projet est un « projet d’émancipation ». Des espaces « ont pour ambition de participer à la construction citoyenne ». Projets « ludiques et pédagogiques » contre « industries de programmes dominées par des logiques […] de séduction et de consommation ».

Corégulation citoyenne

Tout projet politique doit débattre « sur les questions de régulation ». La société civile est « un espace de rassemblement de citoyens organisés ». Il faut agir en amont sur les « industries culturelles » que sont les « industries numériques ». Comment ? Intervenir auprès « des instances officielles », user d’un « droit de saisine », être « partie civile sur certains dossiers ». Il faut défendre le « citoyen », ici, le « citoyen jeune ».

Or, dans le « cadre de politiques européennes […] des directives ont fait sauter tous les verrous de la régulation ». Se crée ainsi un « face à face » injuste : « usagers, en particulier les enfants et les jeunes » et « industries ». Posons l’existence d’une « corégulation citoyenne », posons des « espaces de dialogue avec les industries […] pour alerter ».

Une ère numérique humaniste…

Systématiser l’éducation aux médias et à l’information construit une « citoyenneté participative », s’appuyant sur les réseaux, cauchemars des « totalitarismes politiques ». Il faut « adosser » l’EMI à des « valeurs », aux « droits de l’homme ».

Que viser ? « Opposer à une vision libérale de la ‘’technologisation numérique’’ de l’éducation […] un projet politique humaniste qui adosse l’éducation aux médias et à l’information aux valeurs des droits de l’homme et de son émancipation ».